Témoignage de Mgr Muyengo, évêque du Sud Kivu sur le rôle de l’Eglise catholique en RDC

Publié le 14.04.2017| Mis à jour le 08.12.2021

Nommé depuis décembre 2013 évêque d’Uvira, âgé de cinquante-huit ans, dans la province du Sud-Kivu en République démocratique du Congo (RDC), frontalière du Rwanda et du Burundi, Mgr Sébastien Muyengo oeuvre à une paix qui reste précaire. En tant que président de la Commission épiscopale pour les ressources naturelles (Cern), il travaille aussi au règlement de la question lancinante des « minerais du sang » en RDC. Il témoigne ici avec une grande liberté de parole, alors que le contexte reste tendu.

Pourquoi la région du Sud-Kivu n’est-elle pas pacifiée ?

Mgr Sébastien Muyengo : La région d’Uvira représentait le fief, le refuge de Laurent-Désiré Kabila, ancien chef rebelle de l’Alliance des forces démocratiques de libération du Congo (AFDL), lorsqu’il vivait en Tanzanie. C’est là qu’a commencé la première guerre du Congo en 1996, qui a chassé Mobutu du pouvoir en 1997.

La plupart des politiciens qui ont accompagné Laurent-Désiré Kabila ont toujours des seigneurs de guerre dans notre région. Et derrière chaque seigneur de guerre se trouve aussi un politicien. D’autres groupes armés sont apparus pour des raisons politiques, mais aussi économiques liées aux mines d’or, d’étain et de coltan.

Beaucoup de tribus ont aussi créé des milices de jeunes pour protéger leurs terres. Celles-ci sont à la solde de politiciens ou livrées à elles-mêmes. Je reçois chaque jour des messages annonçant la mort de civils ici ou là. Dans les villages, j’appelle à la paix et la réconciliation. On me fait confiance, mais certains estiment aussi que je parle trop.


Quel est le rôle de l’Église catholique en RDC ?

L’Église étant partout, notre mission est d’être à côté des populations. Nous suppléons à nombre de services que l’État ne peut pas rendre. Par exemple, dans notre région dépourvue de banques, les salaires des fonctionnaires des écoles de campagne sont versés par Caritas. Cela nous coûte très cher : j’ai perdu dans mon diocèse un chauffeur qu’on a tué pour lui voler la paie qu’il allait distribuer. Comme l’État ne compense pas, la population se retourne contre nous, pour demander qu’on lui rende cet argent perdu.

Sur la question des « minerais du sang », la Cern veille à la situation sur le terrain. Nous savons ce qui se passe dans les villages, auxquels bien souvent seule l’Église a accès, et nous alertons sans relâche les autorités. Au sud du Kivu, on détruit encore des maisons pour creuser le sous-sol. Les populations ne sont pas relogées. Elles n’ont aucun droit ! Des puits d’or dans le Sud-Kivu sont toujours gérés par des généraux, d’anciens rebelles et des milices. Certains territoires avec des gisements de minerais restent impénétrables à cause des rébellions et des coupeurs de route.

Le pays n’est pas gouverné, et ce depuis trop longtemps. Dans mon diocèse, seulement 5 % des filles vont à l’école, parce que la région n’est pas sécurisée. Le pays a beaucoup reculé avec le dernier gouvernement. Les frontières sont poreuses et les Congolais n’ont pas de carte d’identité. C’est voulu. On ne sait pas qui est qui dans notre propre pays. À qui ce chaos profite-t-il ?

L’Église joue-t-elle aussi un rôle plus politique ?

La Conférence épiscopale du Congo (Cenco) a fait office de médiateur pour aboutir à un accord politique important le 31 décembre, qui prévoit la formation d’un gouvernement dirigé par l’opposition et une présidentielle avant la fin 2017. Les évêques continuent de faire pression sur les hommes politiques qu’ils connaissent, chacun à leur niveau. Notre appel est moral et invite au dépassement : un peuple tout entier ne peut pas être pris en otage. Les pourparlers continuent, nous verrons où ils vont aboutir.

Le pouvoir jette-t-il de l’huile sur le feu pour mieux justifier un nouveau report de la présidentielle ?

En février, les évêques ont écrit une lettre pastorale intitulée « Non au blocage », citant les nombreux foyers de tension qui s’allument dans la République, et pas seulement dans les deux Kivu, où l’on évoque en effet le retour de la rébellion du M23 [[Le Mouvement du 23-Mars est formé principalement d’ex-combattants de la rébellion tutsie congolaise du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP)]], défaite fin 2013. Des troubles ont éclaté dans le Kasaï et dans le nord du Katanga, avec un conflit nouveau entre les Pygmées et les Bantous. Les Pygmées se rebellent avec des flèches non pas traditionnelles, mais fabriquées à Taïwan ou en Chine. A-t-on jamais vu un Pygmée aller en Chine acheter des armes ? L’impression dominante est que des manipulateurs incitent à la haine et à la division.

Pourquoi l’accord politique négocié fin décembre 2016, sous l’égide de la Conférence épiscopale du Congo (Cenco), tarde-t-il à se mettre en œuvre ?

Trois mois après cet accord, le gouvernement de transition qui devait se mettre en place n’est en effet toujours pas formé. Le peuple en souffre, les gens attendent, le franc congolais ne fait que baisser et la gestion des affaires courantes ne se fait même pas. Mais je ne perds jamais espoir. La pression de la population, des évêques, de la société civile et de la communauté internationale continue de s’exercer pour que la présidentielle soit organisée en décembre 2017 au plus tard.

Cependant, nous avons l’impression que les gens du pouvoir se radicalisent. Le porte-parole du gouvernement a réagi vivement à la décision du pape de ne pas se rendre en RDC, annoncée par le souverain pontife lui-même le 14 mars 2017, en ces termes : « Avec Kabila, cela ne va pas bien, je ne crois pas que je puisse y aller. » Le pape, fait inhabituel, cite le nom de l’actuel président. Cela ne fait honneur ni à Joseph Kabila, ni au peuple congolais.

Quel impact la situation au Burundi voisin a-t-elle sur le Sud-Kivu ?

Les Tutsis du Burundi ont tendance à se réfugier au Rwanda tandis que les Hutus, qui sont majoritaires, viennent plutôt en RDC. Nous comptons 15 000 réfugiés dans notre région. Nous sommes au bord du lac Tanganyika comme le Burundi ; des incursions nocturnes se font dans les camps, certains hommes viennent avec des armes. Nos amis du Rwanda le sachant, leurs soldats entrent aussi dans le pays pour empêcher tout débordement, ce qui nous place dans une situation d’insécurité. De notre côté, nous avons la chance d’avoir 375 ethnies, mais chez nos voisins, où il y a deux peuples, Hutus et Tutsis, la situation qui domine est celle du camp des victimes et celui des bourreaux.

Les anciens miliciens et génocidaires hutus du Rwanda, des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), sont-ils toujours présents dans le Sud-Kivu ?

Oui, ils sont encore là, même s’il reste difficile de connaître leur nombre exact. Le diocèse est coupé en deux par une chaîne de montagnes d’une largeur d’une centaine de kilomètres. Entre l’est et l’ouest du lac Tanganyika, toutes ces montagnes sont couvertes de grandes forêts où l’on peut se cacher. Les FDLR ont trouvé ici de l’or et des ressources agricoles et ne sont plus rentrés au Rwanda. Ces anciens militaires se livrent à des violences à l’encontre des civils et violent des femmes.


La violence qui a déferlé en 1994 au Rwanda a-t-elle contaminé la RDC ?

Le peuple congolais est d’abord victime de son hospitalité, mais aussi de ses richesses en minerais, toujours très convoitées. Nous sommes victimes du « syndrome néerlandais », la fameuse « Dutch disease » qui fait que la manne pétrolière ou minière ne bénéficie pas aux populations des pays concernés. Pourtant, aucune fatalité ne pèse sur la RDC. Chez nous, le sol est si fertile que les écureuils eux-mêmes participent à la culture en dispersant des graines qui poussent toutes seules ! Pour reboiser dans ma région, il suffit de ramasser des pousses… Le développement est à portée de main. Il suppose un minimum de volonté politique.

Que diriez-vous aux députés européens qui ont adopté le 16 mars 2017 une législation visant à mieux contrôler les minerais du sang ?

La stabilité passe par la paix. Nous devons mettre en place un système de contrôle des bandes armées qui permettent le trafic des minerais du sang. Ceux qui provoquent cette situation ne quittent parfois pas leur fauteuil dans les grandes capitales d’Europe. Et la situation aux États-Unis incite à se demander où va le monde. À partir du moment où des personnes ont les deux pouvoirs, politique et économique, où va-t-on ? Aucun contrôle ne s’exerce plus…

Propos recueillis par Sabine Cessou

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