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Togo : la société civile face à l’instrumentalisation de la crise sanitaire
Au Togo, les défaillances du système sanitaire sont criantes. Les ONG partenaires du CCFD-Terre Solidaire réagissent concrètement face au Covid-19… quitte à prendre les rênes, exaspérées par une récupération politique évidente des autorités.
« Nous avons célébré les 60 ans de notre indépendance dans une grande morosité », soupire le professeur en chirurgie David Dosseh, membre du Syndicat national des praticiens hospitaliers du Togo (Synphot) et coordonnateur des Universités sociales du Togo (UST), partenaires du CCFD- Terre Solidaire. [[Le Synphot est le principal syndicat des praticiens hospitaliers du Togo avec près de 9 000 membres sur les 11 000 agents de santé publique que compte le pays. C’est un membre fondateur des Universités sociales du Togo (UST), plateforme associative regroupant une vingtaine d’organisations de la société civile.]]
Trois semaines plus tard, le 16 mars, l’état d’urgence sanitaire est décrété pour une durée de trois mois à compter du 1er avril [[À cette date, les liaisons aériennes ont été suspendues en provenance des pays à risque, les écoles, lieux de cultes, bars et discothèques et frontières terrestres fermés, et certaines grandes villes bouclées.]] et un couvre-feu instauré entre 20 heures et 6 heures du matin.
Le jour de l’entrée en vigueur du couvre-feu, le Togo mets sur pied une force spéciale anti-Covid de 5 000 hommes. « Certains se sont dit que dans le cadre de la lutte contre une pandémie, cette unité spéciale ne pourrait pas user de la force. Malheureusement, les exactions n’ont pas tardé. Des vieilles personnes ont été tabassées et dans des villes où il n’y avait pas de couvre-feu des jeunes ont été tués ! » s’indigne David Dosseh du Synphot.
Dès l’apparition du premier cas, le 5 mars, le Synphot a établi son propre comité scientifique, en raison du « manque de confiance de la population dans l’État togolais ». Il a endossé un rôle de plaidoyer auprès des pouvoirs publics et de gestion de la crise sanitaire.
À ses côtés, les UST et d’autres organisations de la société civile ont lancé des formations de bénévoles, des parcours de soins sécurisés, des distributions de matériel et des campagnes de sensibilisation à travers des clips et des vidéos. Les UST ont par exemple mis en ligne un webdocumentaire de 15 épisodes, dont un est consacré à la situation déplorable du système hospitalier au Togo.
Le 8 avril, le gouvernement annonce un programme d’aide financière, « Novissi » pour soutenir les populations les plus impactées par les mesures de restriction (interdiction de certaines activités, fermetures des écoles, des bars, des débits de boissons, des mototaxis, etc.). Mais Roger Ekoué Folikoué s’interroge sur la « nature de cette aide sociale » qui exclut les personnes non détentrices d’une carte d’électeur. Alors même que l’opposition avait vivement contesté le processus de recensement des électeurs avant les élections.
Par Clémentine Méténier
« Le gouvernement a peur que cette crise révèle
ses limites et ses faiblesses »
Roger Ekoué Folikoué, enseignant de philosophie à l’université de Lomé, membre actif de l’association Le rameau de Jessé, au sein des Universités sociales du Togo.
Quel est votre regard sur la gestion gouvernementale de la crise sanitaire liée au Covid-19 ?
Roger Ekoué Folikoué – La crise sanitaire s’insère dans une crise politique que le pouvoir essaie de faire oublier. Pourquoi les premières mesures décrétées ont-elles été l’état d’urgence et le couvre-feu ? C’est un détour pour obliger les gens à ne pas manifester contre le pouvoir en place.
On a constaté très tôt que le couvre-feu engendrait des actes de violence inouïs et de violation des droits humains : pourquoi 5 000 hommes ont-ils été mobilisés pour lutter contre une crise sanitaire ?
,Comment la population reçoit-elle les mesures face au Covid-19 ?
La population respecte le couvre-feu, non par crainte du virus, mais par peur des représailles des forces de l’ordre. Le message de sensibilisation a globalement du mal à passer, car les conséquences économiques sont lourdes pour chacun. Les marchés sont encore très animés, la différence est qu’on se lave obligatoirement les mains avant d’y entrer.
Quel est le but du groupe d’étude pluridisciplinaire (GEPD) de 13 membres dont vous faites partie ?
L’idée est d’analyser les mesures prises par le gouvernement. En effet, elles lèvent le voile sur l’absence de structures et sur des priorités politiques qui ne vont pas dans le sens de celles des populations. En plus des recommandations sanitaires, on souhaite soulever les dimensions anthropologique, sociale et culturelle qui jouent un rôle dans la gestion de cette crise, qui n’est pas purement médicale.
Propos recueillis par Clémentine Méténier
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