Tunisie : Kais Saied, une réponse aux échecs de la transition ?
Au soir du 25 juillet, le président tunisien, Kais Saied, a pris la tête de l’exécutif, a limogé le chef du gouvernement, gelé l’activité du Parlement et levé l’immunité des députés. Pour Alaa Talbi, du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES, partenaire du CCFD-Terre Solidaire), en dépit des risques de dérive autocratique, c’est l’occasion de faire un bilan de dix ans de transition.
Le coup de force pris, selon le chef de l’État, en application de l’article 80 de la Constitution qui lui permet de mettre en place les mesures nécessaires lorsque l’État est menacé d’un péril imminent, a éclaté dans un ciel lourd de menaces : catastrophe sanitaire, un État à deux doigts du défaut de paiement, blocage des institutions et discrédit total de la classe politique. Ce coup de tonnerre, dénoncé par certains comme un coup d’État, a été applaudi par une immense majorité de la population.
Échos du monde : Comment expliquer le soutien populaire et des mouvements sociaux à Kais Saied ?
Alaa Talbi : On ne peut pas se contenter d’une lecture constitutionnelle de l’événement, il faut le replacer dans son contexte social. Le problème d’avant le 25 juillet, c’était la corruption des institutions par une classe politique incapable de traiter la question économique. On a vu dans les manifestations des pères et des mères de famille particulièrement affectés par la dégradation sociale.
Les Tunisiens voient dans l’État une institution qui ne peut répondre à leurs besoins et tenir ses engagements. Les mobilisations de ces dernières années sont dues, dans leur majorité, au non-respect des accords négociés lors des mobilisations précédentes. L’adhésion très forte à Kais Saied s’explique en partie par l’espoir de voir enfin ces accords respectés.
Kais Saied a-t-il les moyens de concrétiser cet espoir ?
Pour le moment, ses premières initiatives ont surtout concerné la gestion de la crise sanitaire et, notamment, l’organisation réussie de campagnes de vaccination de masse.
L’annonce de son projet au sujet des biens mal acquis sous la dictature et leur conversion en investissements dans les régions les plus défavorisées est prometteuse. Mais elle ne s’accompagne d’aucune vision économique. Sous la pression des bailleurs de fonds et sans alternative à proposer, il est peu probable qu’il puisse changer de politique économique.
L’action de Kais Saied concernant les prix, dont l’augmentation a beaucoup appauvri les Tunisiens, se limite à quelques visites de terrain et des rencontres avec les responsables des organisations économiques. Elle ne s’attaque pas aux raisons profondes et complexes du problème. Les mouvements sociaux, dans ces conditions, ne vont pas tarder à reprendre.
Le FTDES a appelé un Congrès des mouvements sociaux pour l’automne. Quel serait son rôle dans ce nouveau contexte ?
Dix ans après la révolution, les mouvements sociaux butent toujours sur la même difficulté : ils restent fragmentés et ne sont pas englobés dans une dynamique large. Depuis 2011, on a vu beaucoup de mobilisations sur les libertés, mais l’élargissement à la question sociale est difficile.
L’inquiétude actuelle sur les libertés est légitime. Les interdictions de voyage qui touchent plusieurs dizaines de milliers de personnes, par exemple, sans décision de justice ni aucune transparence, sont dangereuses.
Il faut éviter de commettre la même erreur qu’en 2011 et d’ajourner encore la question sociale. Les acteurs politiques avaient promis aux insurgés que la démocratie permettrait de répondre à leur aspiration à la justice sociale. Mais cela n’a pas été le cas. Les partis n’avaient pas de projet de transformation économique. Ils ont poursuivi les orientations néolibérales dictées par les bailleurs de fonds.
Les gens perdront confiance dans la démocratie – si elle est incapable d’améliorer leur condition sociale – et consentiront à la dictature.
La démocratie tunisienne est pourtant présentée comme l’unique succès du « printemps arabe » !
Derrière l’idée « d’exception tunisienne » on sous-entendait qu’on pouvait appliquer à la Tunisie une formule standardisée : le multipartisme comme représentation de la société, des élections comme source de légitimité, le Parlement comme pilier de la démocratie. Mais ce schéma a produit une démocratie de façade, minée par la corruption et coupée de la société.
Nous avons maintenant l’occasion de concevoir notre propre voie démocratique. Notre pays est riche de mobilisations : les mouvements de producteurs, de femmes travailleuses, de jeunes chômeurs, d’agriculteurs, d’animateurs culturels… Ce sont eux les vecteurs de changement, ils doivent être impliqués dans la décision politique. C’est la seule solution pour mettre en œuvre un modèle de développement alternatif qui valorise le potentiel des régions.
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