Une plateforme malienne pour peser sur les politiques migratoires

Publié le 12.08.2015| Mis à jour le 08.12.2021

Soucieux de répondre aux enjeux conjugués du développement et des migrations, le Conseil Régional de Kayes au Mali a créé l’Espace Migration et Développement en Région de Kayes (EMDK) en 2008. Cette plateforme de concertation rassemble les acteurs concernés par la problématique, au Nord, comme au Sud, et vise à peser sur les politiques migratoires. Elle est fortement soutenue par le CCFD Terre-Solidaire, via une de ses associations partenaires : Le Grdr Migration – Citoyenneté – Développement.


Frontalier avec sept autre Etats d’Afrique de l’Ouest, le Mali a toujours été un pays de départ, de transit et d’accueil. La région de Kayes, située au nord-ouest de Bamako, est connue pour être essentiellement une zone de départ, du moins jusqu’à encore récemment. Première région migratoire malienne, Kayes se caractérise par l’importance de ses migrations vers l’international, en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale, et en Europe, principalement vers la France, où les Kayésiens et Kayésiennes représentent la quasi totalité des immigrés maliens.

Des associations de migrants motrices pour le développement de la région

En dépit de leur éloignement géographique, les associations de migrants ont toujours été motrices pour le développement de la région, à travers des transferts de fonds, de compétences et de savoir-faire.
Si au début des années 70, leur organisation était calquée sur celle de la société traditionnelle malienne et focalisée sur « le village », elles sont devenues aujourd’hui des interlocutrices reconnues des coopérations décentralisées et c’est à l’échelle européenne qu’elles s’organisent pour cofinancer des projets dont l’envergure peuvent être de niveau régional, voir sous régional (Bassin du fleuve Sénégal et Europe).

Une région sans politique migratoire

Or bien que le processus de développement de la région de Kayes ait pris un poids particulier au niveau national – jusqu’à faire figure de modèle dans les politiques et pratiques du co-développement – et en dépit du processus de décentralisation à l’œuvre depuis les années 1990, la région de Kayes peinait à élaborer une politique migratoire spécifique.
« Les autorités nationales, basées à Bamako, gardent la main sur cette question qui soulève de forts enjeux de souveraineté politique et diplomatique » explique Assane Dione coordinateur sur Kayes pour le Grdr, association partenaire du CCFD Terre Solidaire.
D’où cette décision des autorités régionales de créer l’Espace Migration et Développement en Région de Kayes (EMDK), une plateforme de concertation entre l’ensemble des acteurs concernés : collectivités territoriales, services déconcentrés de l’Etat et, organisations de la société civile de Kayes et de la Diaspora, soit 161 structures. « Désormais, le défi reste de s’ouvrir aux acteurs économiques : GIE, banque, IMF, MPME, commerçants, coopératives, mutuelles etc. » estime Mohamed Abdoulaye Niang animateur de l’EMDK

Construire des savoirs communs

EMDK a pour vocation d’organiser la concertation sur la base de quatre objectifs : produire des connaissances, analyser les enjeux, proposer des actions spécifiques et porter le plaidoyer territorial aux échelles nationales et supranationales.
« L’EMDK s’est doté d’une charte autour de valeurs communes qui sont la solidarité, l’équité, l’impartialité, la tolérance, la justice sociale, la transparence et la démocratie » précise Founeke Sissoko secrétaire général du Conseil Régional de Kayes.
Entre 2008 et 2013, l’EMDK a commencé par convier ces membres à des « Thé-palabres » autour de thématiques aussi complexes que cruciales, parmi lesquelles : Comment déconstruire les idées reçues sur les migrations ? Bilan des plus-values et des moins-values de la migration dans la région de Kayes. Quelle prise en compte de la reconduite des « migrants subsahariens » au Mali ? Connexions entre sécurité alimentaire et migrations en région de Kayes, etc.

Des actions de sensibilisation auprès des jeunes

Sur la base des savoirs communs dégagés de ces rencontres, l’EMDK s’est ensuite impliqué dans des actions d’information et de sensibilisation auprès de la population kayésienne. Parfois dans des circonstances dramatiques.
Ainsi, en juillet 2014, 86 Maliens en partance pour l’Europe se sont noyés au large des côtes libyennes. La plupart de ces migrants étaient des jeunes originaires des villages du nord du Cercle de Bafoulabé, l’un des sept cercles de la région de Kayes, parmi les plus pauvres et enclavés du Mali[[ Le Cercle est avec la commune et la région un des trois échelons territoriaux de la décentralisation au Mali : il correspond au Département en France.]].
L’EMDK a d’abord mené une campagne d’information à l’échelle nationale à travers des émissions de radio et des conférences de presse. Puis une mission sur le terrain lui a permis de se rapprocher des familles des naufragés.
Sur place un dialogue a été instauré avec les parents, les jeunes et les autorités locales de manière à mieux comprendre les facteurs qui poussent les personnes à prendre de tels risques pour émigrer, à identifier le fonctionnement des filières migratoires et à élaborer des stratégies de prévention.
Puis à la mi-avril 2015, ce sont près de 184 maliens – tous originaires de la région de Kayes selon le ministère des Maliens de l’extérieur – qui ont péri en Méditerranée. L’EMDK a sollicité les autorités religieuses musulmanes et religieuses pour que des messages de prévention soient intégrés aux séances de prières en la mémoire des disparus.

Kayes devient aussi une terre d’immigration

Cette expérience acquise au fil des années lui est maintenant nécessaire pour appréhender un nouveau contexte migratoire. Le développement de l’industrie extractive minière et la croissance urbaine de la ville de Kayes ont fait de la région un poumon économique au cœur d’une zone transfrontalière à cheval sur le Mali, la Mauritanie et le Sénégal.
Kayes, devient à son tour terre d’immigration ! « Dès lors, les mobilités ouest-africaines ne doivent plus être comprises et abordées uniquement en tant que leviers de développement socio-économique et culturel, mais de plus en plus sous l’angle de la cohésion sociale et du savoir-vivre ensemble » souligne Ladji Niangané, membre de l’EMDK.
« Nous sommes face à de nouveaux enjeux régionaux pour le développement confirme Mohamed Abdoulaye Niang. La concertation et le dialogue avec les populations immigrées, leur implication dans les processus de gouvernance locale, l’identification et la valorisation des compétences des migrants en comptant ceux et celles qui reviennent, ou encore la sécurisation des parcours : tels sont les prochains défis dont l’EMDK devra s’emparer pour construire une région ouverte sur le monde ».

Peser sur les politiques migratoires

L’EMDK dispose aujourd’hui d’une visibilité claire des phénomènes migratoires dans la région. Auteure d’un répertoire des projets de co-développement menés dans douze communes de deux cercles de la Région (celui de Kayes et de Yélimané), la plateforme vient d’achever une proposition de stratégie migratoire régionale qui a été votée à l’unanimité par les Conseillers régionaux de Kayes.
Son expertise lui a également valu de s’auto-impliquer, dès août 2011, au processus d’élaboration de la politique nationale migratoire du Mali, ce qui lui a donné l’occasion de souligner la nécessité de prendre en compte les réalités et les besoins spécifiques de chaque territoire du pays.

Une expérience qui inspire d’autres régions

L’ensemble du Bassin du Fleuve Sénégal partageant ces enjeux migratoires, l’expérience de l’EMDK commence à faire des émules.
Un espace similaire a vu le jour en 2013 en Mauritanie (EMD Gorgol), d’autres sont à l’étude au Sénégal oriental, à Sédhiou en Casamance ou encore à Cacheu en Guinée Bissau. L’idée a même fait son chemin jusqu’au… Nord Pas-de-Calais.
« La démarche apparaît incontournable. Elle seule peut aboutir, à terme, à une compréhension exhaustive des mobilités humaines comme leviers d’enrichissement territorial et de renforcement des solidarités sur et entre les territoires » affirme Assane Dione.
Et confiant en l’avenir, les promoteurs de l’EMDK rêvent également de la création d’une plateforme sous-régionale qui pourrait alimenter les politiques africaines (CEDEAO, UEMOA, UA), voire européennes (UE) et internationales.

Bénédicte Fiquet

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