Une présidentielle sous surveillance de la société civile

Publié le 08.12.2011| Mis à jour le 08.12.2021

Paris, le 8 décembre 2011

Joseph Kabila sortirait vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre, selon les résultats partiels (portant sur 70 % des bureaux de vote) annoncés le 6 décembre par la Commission électorale. Les nombreux observateurs déployés, tant par la Commission épiscopale Justice et paix (CEJP) que par plusieurs ONG – dont le CCFD-Terre Solidaire, témoignent d’une forte mobilisation de la population et d’un scrutin émaillé de violences et de tentatives de fraude.

Tous le reconnaissent : la participation citoyenne a été impressionnante d’un bout à l’autre du territoire. La Conférence épiscopale a d’ailleurs tenu à féliciter les Congolaises et les Congolais « pour leur implication remarquable dans le déroulement du scrutin présidentiel et législatif ». Le professeur Cyril Musila, bénévole CCFD-Terre Solidaire, membre de la délégation diocésaine du Val de Marne, présent à Kinshasa, confirme : « Dans les longues files d’attente qui se formaient devant la plupart des bureaux de vote de la capitale, j’ai remarqué de nombreuses femmes enceintes ou de mères avec leurs bébés qui patientaient, stoïques, sous la pluie. » Même impression recueillie auprès de madame Imbs, également bénévole CCFD-Terre Solidaire, membre de la délégation diocésaine de Paris, qui surveillait, elle, les opérations électorales à Goma et dans le Nord-Kivu, près de la frontière rwandaise. « J’ai confronté mon point de vue, nous dit-elle, avec d’autres observateurs, membres d’Eurac, le Réseau européen pour l’Afrique centrale et avec Thomas Muiti, le président de la société civile du Nord-Kivu. Nous avons relevé une phrase-leitmotiv dans les rangs des votants : « Je veux faire mon devoir électoral, car c’est un jour important pour le pays ». » Autre signe de cette mobilisation. « À Goma, capitale du Nord-Kivu, ajoute Françoise Imbs, j’ai vu des infirmes, qui mettaient un point d’honneur à se débrouiller tout seuls dans l’isoloir. »

Un défi logistique considérable

Dans ce pays grand comme quatre fois et demi la France et dont le réseau routier est dans un état déplorable, la livraison du matériel électoral (urnes, bulletins de vote,…) dans les zones les plus enclavées paraissait un pari impossible. L’appui de la mission des Nations unies, la Monusco, et de ses 19 000 hommes a permis de relever la plupart des défis. Ballets d’hélicoptères, noria de pirogues, transport à dos d’hommes.

Pour autant, les irrégularités n’ont pas manqué. Coordinateur du Forum des Amis de la Terre (FAT), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, Malembe Kambale a abandonné ses fonctions le temps de la campagne pour se présenter à l’un des 500 postes de député dans le district de Lubero au Nord-Kivu. Il y a notamment constaté « un vrai désordre » dans certains bureaux : « Ici, les listes électorales n’avaient pas été mises à jour ; là, les bulletins de vote de candidats faisaient défaut. Résultat : des électeurs ont été empêchés de voter. » A Kananga, dans le Kasaï occidental, au centre du pays, des bureaux de vote ont été incendiés après la découverte d’urnes bourrées de bulletins au nom de Kabila. Enfin, selon l’ONG Human rights watch (HRW), 18 personnes – dont 14 dans la capitale – sont tombées sous les balles de la Garde républicaine (ex-garde présidentielle) et une centaine grièvement blessées, durant la campagne électorale.

Le vote était l’occasion pour les Congolais de se prononcer sur les dix ans de présidence de Joseph Kabila, qui avait succédé à son père Laurent-Désiré, assassiné en janvier 2001, avant d’être intronisé président élu en juillet 2006. Le bilan est très mitigé. À son actif, une relative pacification : aux deux guerres civiles qui ont déchiré le pays entre 1996 et 2002 (quelque 3 millions de morts) ont succédé les exactions de bandes armées, en particulier dans l’Est. Mais les promesses de développement sont restées lettre morte. Les deux tiers des 68 millions d’habitants vivent en-dessous du seuil de pauvreté avec 1,25 dollar par jour. Et ce, alors que ce géant est couché sur un monceau de richesses (or, cuivre, diamants, coltan, cassitérite, …), qui profitent plus à des prédateurs – pays voisins et multinationales – qu’à la population congolaise. L’espérance de vie ne dépasse pas 55 ans et le taux d’alphabétisation est de 67 %. L’ex-Zaïre occupe la dernière place au classement de l’Indice de développement humain du PNUD et le 164e rang sur 178 pour son niveau de corruption, selon Transparency international. La société civile n’en ménage pas moins ses efforts pour sortir le pays de l’ornière. Ainsi, le Forum des Amis de la Terre (FAT) plaide en faveur de la sécurisation des petits paysans et la révision de la loi foncière en faveur de l’agriculture familiale.

Crainte d’un scénario à l’ivoirienne

Le verdict des urnes ne permettant pas au désir de changement de se concrétiser, le risque de dérapages post-électoraux ne doit pas être sous-estimé, d’autant que le grand perdant, Etienne Tshisekedi, 78 ans, crédité de 36 % des suffrages – contre 46 % à Joseph Kabila – ne reconnaît pas sa défaite. Dès le 4 décembre, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), par la voix de son président, Mgr Nicolas Djomo, exprimait sa grande inquiétude : « L’image que nous retenons, avertissait-il, est celle d’un TGV qui va tout droit dans le mur. »

Tandis que 20 000 militaires en armes sillonnaient les rues de la capitale et que des vedettes patrouillaient sur le fleuve Congo, des milliers de Kinois redoutant des affrontements meurtriers s’étaient réfugiés dans la capitale voisine, Brazzaville.

En janvier 2011, Joseph Kabila s’était appuyé sur un Parlement docile pour imposer une élection présidentielle à un seul tour, censé le favoriser face à une pléiade d’opposants divisés. Mais pourra-t-il échapper à un second tour dans les rues ? Il reviendra à la Cour suprême de proclamer les résultats électoraux définitifs le 17 décembre. Il est prévu que le nouveau président prête serment le 20 décembre 2011.

Yves Hardy

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