Recherche d’une problématique sortie de crise

Publié le 21.01.2011| Mis à jour le 08.12.2021

Au seuil de 2011, Madagascar entame une troisième année de Transition, et ses politiciens sont toujours à la recherche d’une problématique sortie de crise. Il n’est sans doute pas excessif d’en conclure que les hommes politiques continuent à entretenir le désaccord, tout en profitant au maximum d’une situation qui profite au plus grand nombre d’entre eux. Après ces 24 mois d’attente, où en sont le pays, les institutions et les citoyens ?


A ce jour, trois avancées significatives vers une solution définitive méritent d’être mentionnées. La première est relative à la mise en place de la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante). Son inexpérience a été flagrante lors du dernier scrutin, et des améliorations peuvent être apportées à son organisation et à son fonctionnement. Ceci étant, il est souhaitable que les diverses oppositions acceptent de l’intégrer. La seconde concerne l’adoption de la constitution de la IVème République le 17 novembre 2010. Que l’on y soit favorable ou hostile, ce texte a été adopté au suffrage universel. En dépit de ses faiblesses et ses incohérences, il est désormais la constitution de Madagascar. La troisième avancée est la création des assemblées qui ont remplacé la Haute Autorité de Transition : le CT (Congrès de la Transition, 256 membres, censé tenir lieu d’Assemblée nationale) et le CST (Conseil Supérieur de la Transition, 90 membres, censé tenir lieu de Sénat). Ces institutions, dépourvues de légitimité populaire, sont là pour aider à la gestion courante du pays et à la mise en place rapide des institutions démocratiques prévues par la nouvelle Constitution. Elles ont donc vocation à disparaître au plus vite, au profit d’élus du peuple.

Halte à la boulimie des politiciens

Mais depuis la création de ces institutions provisoires, le citoyen médusé assiste à une surenchère boulimique dans la revendication des places et des avantages matériels. A croire que les politiciens ont perdu le plus élémentaire patriotisme, et jusqu’au sens de la mesure et de la décence. Leur seul objectif semble être de s’installer, pour consolider et accroître leurs privilèges.

Du point de vue des rémunérations, circulent les chiffres les plus extravagants. Combien ont touché les membres de la HAT : 20 à 25 millions d’Ariary par mois, sans compter les indemnités en grand nombre, les per diem et autres avantages annexes ? Combien touchent les membres du CT et du CST ? Le silence et le refus de transparence de la part de tous les concernés, anciens et nouveaux, inquiètent. Qu’ont-ils donc à cacher, sinon des rémunérations sans proportion avec le salaire normal d’un travailleur, même qualifié, et des avantages dont la seule liste connue devrait faire honte à leurs bénéficiaires : indemnités de logement et de déplacement, primes pour le carburant et les consommations téléphoniques, assistants parlementaires, etc.

La Transition justifie son arrivée au pouvoir par le besoin de changement manifesté par les citoyens. Les rémunérations des politiques devraient constituer le premier terrain d’application de cette volonté de changement, en mettant un terme aux dérives dont abusent les politiciens. Ils ne sont pas élus, faut-il le redire encore, et à ce titre ils ne sont représentatifs de rien et de personne. Leurs salaires devraient donc être à la mesure du travail fourni. Est-il normal que des politiciens anonymes gagnent plus qu’un chef d’entreprise ? Et si l’on demandait aux citoyens, qui payent leurs politiciens par le biais de leurs impôts, quel salaire maximum ils consentiraient à accorder aux politiciens, tous avantages compris ?  

Et voici que ces gens, qui ne sont pas élus mais se targuent de parler et de décider au nom du peuple, marchandent à nouveau des prétentions exorbitantes. Rien ne justifie des émoluments aussi faramineux, car ils n’ont pas à se déplacer dans une quelconque circonscription, n’étant élus par personne. Ils n’ont pas à faire de réunions pour rendre compte de leur activité parlementaire, puisqu’ils n’ont pas de mandat électoral. Mais peut-être exigent-ils ces subsides pour mieux financer leur future campagne électorale ? C’est dire assez que leur travail de congressistes et de conseillers est loin d’être leur préoccupation primordiale ! 

Du point de vue de l’effectif de ces assemblées, les prétentions sont tout aussi inacceptables. Ne parle-t-on pas de 500 congressistes, près de 200 conseillers, ainsi que d’un gouvernement dit d’union nationale de 50 ministres ? Notons au passage que le récent gouvernement d’union nationale de la Tunisie en Transition, mis en place quelques jours après la démission de Ben Ali, compte 19 membres. Pourquoi en faudrait-il 50 à Madagascar, et deux ans après le début de la Transition, sinon pour satisfaire le plus grand nombre d’ambitions personnelles ? Quel aveu d’incompétence et d’inconscience…

Outre qu’il n’existe dans la capitale aucune infrastructure pouvant accueillir en permanence une assemblée de 500 parlementaires (et combien d’assistants parlementaires ?), pourquoi multiplier ces postes finalement inutiles ? Les politiciens qui y ont été nommés n’ont aucun droit à y rester, ils peuvent être remplacés par d’autres qui seraient estimés plus « représentatifs » des différents courants politiques. Les partis concernés n’ont pour la plupart aucune légitimité populaire, ne s’étant jamais soumis au verdict des urnes. Il s’en créé tous les jours, groupuscules qui édictent leurs exigences : même si certaine presse se fait l’écho de l’un ou l’autre, de quel droit et au nom de qui parlent-ils ? En attendant que des élections législatives leur donnent et la légitimité de parler et le pourcentage des sièges auxquels ils peuvent prétendre, un représentant par parti officiellement enregistré serait largement suffisant au sein du Congrès de la Transition.

Enfin, Congrès et Conseil Supérieur de la Transition sont censés ne durer que quelques mois seulement, s’il est vrai que députés et sénateurs doivent être élus en 2011. A quoi bon, dans ces conditions, multiplier les sinécures ? Une institution transitoire se doit d’être limitée dans ses effectifs, exemplaire dans son fonctionnement, économe de l’argent public, modeste dans ses projets, et transparente dans ses décisions.

Il vaudrait la peine de procéder à une analyse coûts/avantages qui compare le coût d’une opération pour le pays, avec les avantages qu’il en retire. Si le coût de la Haute Autorité de Transition et des actuels CST et CT était et est sans proportion avec les résultats obtenus, à plus forte raison l’est-il si l’on considère le projet de porter ces assemblées à 100 et 500 membres, avec un gouvernement de 50 ministres. Il serait facile, si nos dirigeants autoproclamés pratiquaient la transparence promise, de savoir ce que coûtent ces institutions, et ce que coûteront celles à venir. En contrepartie, quel bénéfice en a tiré le pays, combien de lois ont-elles été adoptées, en quoi les conditions de vie de la population se sont-elles améliorées? Il conviendrait aussi de mentionner les mesures qui n’ont pas été prises, en matière d’insécurité interne, de pillage des ressources naturelles, de détournement de fonds publics, etc.

Sortir du transitoire

Il tarde aux citoyens de voir s’achever une Transition gérée par des responsables cooptés, que certains s’efforcent pourtant de faire durer. Car un citoyen veut des dirigeants issus de son libre choix, alors que les dirigeants désignés ne sont représentatifs que d’eux-mêmes.

Que le Président de la Transition prenne donc ses responsabilités : c’est à lui qu’il revient de mener cette Transition à son terme. Qu’il cesse d’apparaître comme l’otage d’un entourage à la réputation douteuse. Qu’il assume les pouvoirs que lui donne la nouvelle constitution dans ses dispositions transitoires (art. 165), pour imposer un cadre électoral réaliste et définitif. Depuis un an, le citoyen éberlué assiste au défilé d’échéances annoncées, jamais tenues, toujours reportées. A ce jour, aucune date n’a été respectée, et nul ne sait aujourd’hui, si ce n’est que 2011 est décrétée « année électorale », quand auront lieu les échéances majeures : législatives et présidentielles, municipales et régionales… 

Ces reniements successifs ont un effet déplorable mais mérité sur la crédibilité des responsables de la Transition, et accréditent l’idée que leur seul objectif est de se maintenir à la place qui est la leur. Mener la Transition à terme implique, plus que jamais, l’imposition et le respect scrupuleux d’un calendrier électoral qui ne soit pas systématiquement remis en question. Il revient à ceux qui sont en charge de l’Etat d’obliger tous les acteurs à s’y conformer. C’est pour cela qu’ils sont en charge d’une Transition, afin qu’elle se termine au plus vite.

Se pose également, dans ce contexte, la question des relations qu’entretient la classe politique avec l’argent. Le Bianco a récemment fait savoir que seuls 7 ministres avaient satisfait à l’obligation de déclarer leur patrimoine au moment d’entrer en fonction. Il est logique d’en conclure que ceux qui ne se sont pas conformés à la loi ont des choses à cacher. Pourquoi la justice s’en prend-elle alors aux petits délinquants, lorsque ceux qui dirigent l’Etat ne se conforment pas à la loi ? De même, avant les élections municipales avortées du 20 décembre 2010, les candidats s’étaient insurgés parce qu’il leur fallait justifier de l’état 211-bis, qui prouve qu’ils ont bien payé leurs impôts et leurs taxes ; et le pouvoir de la Transition avait cédé à leurs demandes, les dispensant de cette obligation. Les citoyens savent désormais que non seulement la grande majorité de nos hommes politiques ne sont pas en règle avec le fisc, mais que le pouvoir entérine cette illégalité flagrante de la part de futurs élus du peuple ! Nos hommes politiques n’auraient-ils donc plus ni déontologie ni éthique ?

Ce qui est transitoire ne doit pas durer. Une Transition de deux ans, sans qu’aucun scrutin pour la mise en place d’institutions pérennes n’ait été tenu, témoigne de l’échec de l’ensemble de la classe politique. Car les blocages viennent de tous les politiciens, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Le citoyen est largement au courant de ce qui oppose les uns et les autres : le partage du « gâteau ». En effet, chacun s’estime en droit d’accaparer les postes les plus juteux pour lui et pour les siens. Absence de vision nationale et mépris du bien commun, égocentrisme et boulimie financière, refus de laisser la place aux jeunes quand arrive le grand âge, tout cela concourt à l’échec des régimes successifs, qui pourrait être aussi celui de l’actuelle Transition. On ne cessera de le dire, toute la classe politique est en cause.

Il en va de même, malheureusement, de la société civile. Loin de respecter l’apolitisme qui fait leur identité, nombre d’associations sont devenues le paravent d’engagements politiques, ou l’antichambre en vue d’accéder au pouvoir. Les mêmes travers se retrouvent dans le corporatisme des grands corps de la nation, au détriment de leur raison d’être qui est le service désintéressé au profit de la patrie et des citoyens. Les revendications de magistrats, enseignants chercheurs, militaires, médecins et paramédicaux, administrateurs civils, journalistes et ecclésiastiques, ne sont-elle pas le résultat de la surenchère des politiques ?

De ces travers, il est urgent de sortir. Mais qui le veut sincèrement ? le SeFaFi propose alors de renoncer au mythe de l’unanimité, et de reconnaître que les opinions sont diverses et parfois inconciliables. Il faudra donc que ceux qui ne sont pas d’accord avec le régime de la Transition s’érigent en partis d’opposition et soient reconnus comme tels par les autres, dans l’esprit de l’article 14 de la nouvelle constitution. Ainsi seront reconnus les droits du pouvoir et la légitimité de l’opposition.

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