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Défendre les droits des migrants aux frontières et en zone d’attente

Publié le 20.06.2016| Mis à jour le 02.01.2022

Partenaire du CCFD-Terre Solidaire, l’Anafé – Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers – est l’une des rares structures de la société civile habilitée à intervenir en zones d’attente, ces lieux d’enfermement des personnes étrangères bloquées à nos frontières. Entretien avec Laure Blondel, coordinatrice générale de l’association.

L’Anafé a été créée en 1989. Dans quelles conditions ?

Laure Blondel : L’Anafé a été créée à l’initiative de syndicats de transport, qui a la fin des années 1980, alertent des associations de défense des droits humains sur les conditions épouvantables caractérisant le maintien dans les aérogares de centaines d’étrangers en attente d’être renvoyés. A cette époque, il n’y avait aucun encadrement légal de cette pratique. Aujourd’hui, l’Anafé est composée de 21 organisations : des associations, comme le Comede (Comité médical pour les exilés), l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), le GAS (Groupe Accueil et Solidarité, le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), la Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués) ou la Ligue des droits de l’Homme ; des syndicats dont des syndicats de transport et le syndicat de la magistrature, et des membres individuels.

Une des premières actions de l’association est d’avoir poussé en 1992, le gouvernement à légiférer pour donner une base légale au maintien des étrangers en zone d’attente. L’Anafé regroupe neuf des quinze associations habilitées à visiter ces lieux et appartient à deux réseaux luttant contre la banalisation de l’enfermement des étrangers : le réseau euro-africain Migreurop et l’Observatoire de l’enfermement des étrangers.

Où sont ces zones d’attente ? Quelles personnes y sont maintenues ?

L.B : Il existe 67 zones d’attentes en France dans les aérogares, les ports et les gares desservant les destinations internationales. Y sont maintenues les personnes étrangères à qui la police aux frontières refuse l’entrée sur le territoire, estimant qu’elles ne remplissent pas les conditions d’entrée en France ou dans un autre Etat de l’espace Schengen (Note : Au sein de l’Union européenne, espace de libre circulation des personnes entre les États signataires de l’accord), si elles sont en transit.

Ces zones sont une sorte de fiction juridique puisque les étrangers qui y sont confinés ne sont pas considérés comme étant en France. Leurs droits s’en trouvent restreints. C’est la logique de la maîtrise du flux migratoire au faciès qui détermine qui sera contrôlé ou non à la frontière. Des étrangers en situation régulière en France se voient refuser un retour sur le territoire au motif que leur passeport serait faux… On a vu une personne en transit pour l’Italie refoulée parce qu’elle ne pouvait pas présenter de guide touristique !

Quel est le sort réservé aux demandeurs d’asile ?

L.B : Non seulement les demandeurs d’asile ne bénéficient pas des mêmes droits pour déposer leur demande que ceux qui la font depuis le territoire français (Note : Une procédure dérogatoire a été mise en place, beaucoup plus expéditive et qui vise seulement à les autoriser à entrer pour ensuite déposer leur demande), mais l’Anafé dénonce des violations récurrentes des droits et certains demandeurs essuient un refus de la part de la police d’enregistrer leur demande, ce qui les expose à être refoulés à tout moment.

Par ailleurs, les blocages en amont rendent de plus en plus difficile de voyager de manière ordinaire. En raison des sanctions auxquelles elles sont exposées, certaines compagnies de transport font leur propre police et refusent d’embarquer les personnes. Cette politique d’externalisation du contrôle des frontières détourne les réfugiés des voies dites régulières pour les voies à hauts risques.

Quelles sont les missions de l’Anafé aujourd’hui ?

L.B : Elles sont étendues. L’Anafé agit en faveur des droits des personnes aux frontières et en zone d’attente. L’association offre une assistance juridique gratuite aux personnes bloquées aux frontières en assurant des permanences physiques à l’aéroport de Roissy, qui totalise autour de 80% des personnes maintenues en zone d’attente, et des permanences téléphoniques dans les autres zones d’attente. Ce dispositif nous permet de toucher près de 10% des personnes maintenues. Nous effectuons aussi régulièrement des visites dans des zones d’attente. Et depuis 2007, l’Anafé suit également des personnes refoulées pour évaluer les risques en cas de retour.
L’action a pris de l’ampleur en partie grâce au soutien du CCFD-Terre Solidaire. Sur la base de toutes ces expériences, l’Anafé témoigne, dénonce, analyse les textes et les pratiques, produit des notes et des rapports, sensibilise l’opinion publique, interpelle les autorités… L’Anafé ne pourrait pas fonctionner ainsi sans bénévoles.

En quoi consiste votre suivi des personnes refoulées ?

L.B : Nous tentons de maintenir le contact avec les personnes que nous avons rencontrées dans les permanences juridiques pour connaître les conditions de leur refoulement depuis la France et leur situation dans le pays où elles ont été réacheminées. Cela nous permet parfois de poursuivre du contentieux, ou en lien avec des partenaires locaux, de réorienter les personnes pour un soutien sur place. Nous nous rendons aussi directement dans certains pays de manière à y rencontrer les organisations de défense des droits humains, les autorités locales et les autorités françaises sur place.

Ces missions exploratoires nous ont conduits au Maroc, en Haïti, en Tunisie, en Guinée Conakry ou encore au Liban. Là encore notre objectif est de témoigner des entorses faites aux procédures légales et des risques encourus dans les pays d’origine ou de transit. Les violations des droits sont multiples : confiscation des documents d’identité, détention, non prise en charge des mineurs… Nous recueillons aussi régulièrement des allégations de violences policières, commises en France ou dans le pays de renvoi.

Quels sont vos liens avec l’administration française ?

L.B : Après des relations tendues il y a quelques années, elles sont aujourd’hui plutôt cordiales. L’Anafé est reconnue pour son expérience et son expertise. Fin 2014, le ministère de l’Intérieur a décidé de mettre un terme à l’hétérogénéité des règlements intérieurs d’une zone à l’autre que nous dénoncions. L’Anafé a été consultée pour l’élaboration d’un règlement unique et certaines de nos remarques ont été prises en compte. En revanche, nos saisines, qu’elles concernent un mineur isolé, une personne malade ou un demandeur d’asile, sont trop rarement suivies d’effets.

Quelles sont les revendications de l’Anafé en faveur des droits des étrangers se présentant à nos frontières ?

L.B : Nous interpellons régulièrement les pouvoirs publics pour que les droits fondamentaux des personnes soient respectés. Informations sur la procédure et les droits, conditions matérielles d’hébergement, accès au médecin et aux soins, droit à un interprète, respect des délais des procédures, accès au juge : tout est sujet à des dysfonctionnements ou violations des droits.

Par ailleurs, nous portons depuis plusieurs années trois principales revendications :
La fin du maintien en zone d’attente de tous mineurs, qu’ils soient isolés ou accompagnés, leur enfermement étant contraire à de nombreux engagements et recommandations aux niveaux national et international. A commencer par la Convention internationale des droits de l’enfant qui exige la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toute décision le concernant et qui ne tolère son enfermement qu’en dernier ressort.

Le droit à un recours suspensif et effectif pour tous les étrangers afin de pouvoir contester la mesure privative de liberté, c’est-à-dire la suspension du refoulement tant qu’un juge n’a pas statué sur la demande. Aujourd’hui en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, le recours suspensif n’est accordé qu’aux demandeurs d’asile et encore dans des conditions telles qu’il n’est pas toujours effectif.

Enfin, nous demandons une permanence d’avocats dans toutes les zones d’attente. Dans un contexte où les délais impartis pour faire valoir ses droits sont très courts, le manque d’informations et les difficultés pour les personnes maintenues en zone d’attente d’en identifier les acteurs les privent trop souvent de ces mêmes droits.

Propos recueillis par Bénédicte Fiquet

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