Félix Randrianasoavina, Madagascar

Publié le 19.03.2005| Mis à jour le 08.12.2021

Madagascar vit une nouvelle étape de son Histoire mouvementée. Les défis du développement restent considérables.

Les esprits changent, mais tout reste à faire

Paris, le 4 mars 2005

Actuellement, Madagascar est dans une phase de recherche de son identité. Après la décolonisation en 1960, nous avons eu la Première république, où nous avons vécu un peu à l’image de ce que nous avait légué l’administration française, sans une réelle identité typiquement malgache pour prendre le relais. Pendant une dizaine d’années, cela a été le tâtonnement et à partir de 1971, des grèves estudiantines et des problèmes dans le sud du pays ont déclenché le renversement du premier régime de la première république.

De 72 à 75, il y a eu une transition militaire et ensuite le régime a amorcé une révolution socialiste qui prétendait répondre à cette identité malgache, fondée, non pas sur le socialisme en tant que tel, mais sur ce que nous appelons chez nous le fokonolona. C’est-à-dire quand l’ensemble d’une population, d’une région, gère ses affaires au quotidien, tant pour l’aspect administratif que traditionnel.
Mais entre l’identité laissée par les séquelles de la colonisation et ce qu’il nous restait de celle que nous ont léguée les ancêtres, il y a eu un choc qui n’a pas permis à la révolution socialiste de décoller.
Et pendant vingt-cinq ans, cela a été un peu la traversée du désert, une régression, de la culture et de l’identité malgache. Les intellectuels par exemple, ne se disant plus malgaches, se prenaient pour des occidentaux, avec un mode de vie occidental calqué un peu sur la vie des colons. Quant à ceux qui étaient en bas, ils ne savaient pas trop où se camper.

Ouverture
En 2001, il y a eu une grave crise qui a abouti à la chute du régime Ratsiraka, le père du socialisme à Madagascar. Maintenant, en 2005, nous en sommes à la troisième année du mandat du président Ravalomanana et ces trois années nous ont apportés plus que les vingt-cinq années précédentes en termes d’infrastructures routières, d’éducation et de citoyenneté.
On a senti une ouverture au niveau régional et international. On a commencé à parler du Nepad*, à se concerter pour la Sadec**, à faire un effort pour être partie prenante de l’Union africaine. Une ouverture qui place Madagascar non plus uniquement dans les régions de l’Océan indien, mais dans le monde.
En terme de citoyenneté, on sent actuellement, tant de la part de l’administration que de chaque individu, qu’il y a eu une volonté de s’affirmer en tant que malgache : avant, le made in Mada, le vita gasy, comme on dit chez nous, c’était une honte. Tout ce qui était fabriqué à Mada n’avait aucune valeur aux yeux des Malgaches. Maintenant nous sommes fiers de ce qui est fabriqué a Mada, c’est un changement de mentalité.

Si l’on était dans l’opposition ou pas content sur quelque chose, il était plus facile de rameuter tout le monde pour descendre dans les rues, mais maintenant les gens disent « non, c’est pas la peine. Il faut construire ».
Il y a aussi la participation des sociétés civiles, par exemple, dans le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté où il y a eu des concertations régionales, nationales pour définir les priorités du pays auxquelles toutes les entités ont participé et plus ou moins contribué soit directement, soit indirectement. Il y a aussi des projets de développements comme le Projet pour le soutien du développement rural financé par la Banque mondiale et finance la promotion de l’agriculture et des travaux paysans. C’est vraiment efficace pour les communautés villageoises. On voit là un effort, une volonté de se développer. À condition que l’opposition soit plus consciente et plus active et que l’administration soit plus attentive aux besoins de la population.
Il y a un changement de mentalité qui pousse les gens à accepter le programme du pouvoir en place, ce qui ne veut pas dire qu’ils soutiennent ce pouvoir. On ne s’intéresse plus à la politique, mais au développement du pays.

La côte et les hauts-plateaux
Reste cet esprit de cause côtière, car il ne faut pas oublier que, avant la colonisation, Madagascar était une royauté issue des Hauts Plateaux et dirigée par l’ethnie Merina. Après le départ des Français, en 1958-1959, la question s’est posée : voulions-nous le retour à royauté ou allions-nous choisir la république ? Ceux des Hauts Plateaux auraient préféré qu’on revienne à la royauté, mais ceux des côtes, qui avaient subi pas mal de contraintes et d’asservissements, ont insisté à ce que cela devienne une république. Et c’est pour cela que, depuis l’indépendance jusqu’à la présidence de Ravalomanana, nous n’avons pas pu élire un président d’origine Merina. Or, Ravalomanana est un Merina, ce qui entraîne quelques réticences de la part des côtiers qui craigne que le nouveau président ne falsifie le choix d’une république et ne retombe dans le régime de la royauté. L’opposition joue actuellement là dessus, mais si nous passons notre temps à se disputer entre côtiers et Hauts Plateaux et ainsi de suite, cela ne mènera nulle part.

Notre économie est exsangue
Car il nous reste beaucoup à faire. Et nous avons déjà pas mal de difficultés sur le plan économique : la vanille trouve difficilement preneur sur le marché international et le café n’a plus de prix, l’exploitation aurifère n’est pas bien gérée. C’est la crevette qui fait entrer un peu de devises étrangères. Notre économie est exsangue et, pour le moment, fondée sur les aides de l’extérieur. La Banque mondiale est là, on parle de la suppression de la dette pour Madagascar, mais est-ce que cela apportera des changements dans la vie des gens ? Notre PIB par habitant est très bas et nous sommes parmi les derniers pour ce qui est de l’indice de développement humain. L’accès aux infrastructures publiques, à l’eau potable, aux soins primaires, l’installation d’écoles publiques et autres, tout cela reste encore à faire.

Propos recueillis par Patrick Chesnet

* Nepad : Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique. Il regroupe, en fonction de leur région d’origine, Afrique de l’Ouest, de l’Est, du Nord, Centrale et Australe, différents pays engagés dans la réduction du fossé qui sépare les pays africains du reste du monde.

** Sadec : Communauté pour le développement économique des Etats d’Afrique australe. Elle regroupe quatorze pays du sud de l’Afrique et s’occupe de promouvoir une meilleure coopération, notamment économique, entre les états membres.

Entré au séminaire pour devenir prêtre, Félix Randrianasoavina en ressortira onze ans plus tard et entrera dans l’Education nationale en qualité d’enseignant. Très engagé, comme laïc, dans les activités sociales de l’Eglise, il est aujourd’hui le directeur national de l’Apostolat de la mer, une Ong destinée à aider petits pêcheurs locaux et leur famille.

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