Jeremias Andrade, Mozambique
Dans un pays encore affaibli par des décennies de conflit, l’analphabétisme très répandu handicape les populations rurales.
Sans éducation, pas de projet solide
Jeremias Andrade est professeur de mathématiques et de biologie, coordinateur exécutif de l’Association de promotion pédagogique et d’éducation pour adultes (Apea).
Apea est partenaire du CCFD.
Paris, le 17 mars 2007
L’analphabétisme est un problème majeur du Mozambique. Ses causes sont connues : les dix ans de guerre coloniale qui ont précédé l’indépendance du pays en 1975, et les 17 ans de conflit interne qui ont ensuite déchiré le pays jusqu’en 1992. Mais lorsque le pays a commencé à se réorganiser, après la guerre civile, l’éducation est restée secondaire devant les priorités sociales et économiques du gouvernement. Il existe un manque criant d’infrastructures scolaires, surtout en milieu rural, et niveau d’éducation a chuté drastiquement.
Il faut ajouter que pour la plupart des individus également, dans les communautés, l’école était considérée comme une perte de temps face aux autres urgences. Il fallait cultiver, reconstruire les maisons… Et eux-mêmes se considéraient généralement comme incapables d’apprendre.
30 à 40% d’analphabètes
C’est sur ce constat que nous avons créé, en 1996 l’Association de promotion pédagogique et d’éducation pour adultes (Apea), d’abord pour engager un travail de conscientisation. Même s’il nous arrive de prendre en charge des jeunes dans les villages où l’État est par trop défaillant, notre priorité, ce sont les adultes, génération perdue de l’éducation avec un taux d’alphabétisation de seulement 40 %. Il tombe probablement à moins de 30 % dans notre province de Nampula.
Nous avons commencé par des groupes de femmes, confrontées à des problèmes concrets au quotidien. Analphabètes et incapables de calculer, elles se trouvaient par exemple désemparées devant les formulaires de demande de microcrédits. En moins de huit mois, elles s’en tiraient toutes seules. Quelques-unes savaient même un peu lire.
Cette réussite nous a encouragé à développer ce « diagnostic rural et participatif » auprès de divers groupes. En quatre ans, nous avions créé un noyau solide d’intervenant, qui comprend aujourd’hui 36 membres, dont une dizaine sont enseignants.
S’écarter des techniques trop académiques
Notre première action consiste à identifier la priorité de la communauté : santé, éducation, alimentation, production… Ensuite, nous réfléchissons à une technique d’alphabétisation en rapport avec la résolution de leur problème. Il s’agit de s’écarter des techniques gouvernementales trop académiques. Si la préoccupation est la santé, nous trouvons un moyen de montrer que « sans éduction, pas de projet sanitaire solide ».
Cette recherche d’alternatives n’a de chance de réussite que si les gens se responsabilisent et participent, afin de ne pas dépendre de nous. Ainsi pour la construction d’écoles. Les communautés pensent que c’est le rôle de l’État, mais elles peuvent parfois attendre longtemps. Alors nous leur faisons prendre conscience qu’elles disposent de pierre, de sable, d’eau, de bras, d’idées, et qu’elles peuvent construire elles-mêmes ce bâtiment. S’il manque d’un toit en zinc, par exemple, l’Apea peut s’en charger.
Les gens mesurent un bénéfice économique immédiat de ce travail d’éducation. Par exemple, quand un atelier de broderie se met à gagner de l’argent dès que la propriétaire sait lire et écrire. Alors, les communautés poursuivent d’elles-mêmes leurs efforts d’éducation.
Une reconnaissance officielle
Nous avons adopté une approche prudente, à la mesure de nos petits moyens : nous travaillons localement, et à la demande, sur trois districts de la province pour le moment. À ce jour, nous avons accompagné, au-delà de l’alphabétisation de base, 254 élèves adultes en enseignement primaire — lire, écrire, compter —, et 1 805 en secondaire. Avec reconnaissance de leur niveau par le gouvernement, qui est très satisfait de ce travail : depuis l’an dernier, nous sommes invités pour l’exposer dans des rencontres officielles, de même que pour les techniques de construction d’école que nous avons mises au point, ce qui nous permet de participer aux appels d’offre officiels.
Propos recueillis par Patrick Piro
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