» L’ombre des urnes et des armes sur les Grands Lacs « 

Publié le 11.05.2012| Mis à jour le 08.12.2021

Eléments d’analyse et de réflexion sur la démocratisation en Afrique Centrale après deux années électorales 2010-2011

2010 et 2011 ont été des années électorales lourdes en Afrique Centrale. Non seulement le Rwanda, le Burundi et la RDC, mais aussi le Cameroun, le Tchad, la République centrafricaine et le Gabon ont organisé des élections en 2011, tout comme l’Ouganda, qui n’est pas considéré comme un pays de l’Afrique Centrale. Toutes ces élections ont confirmé et renouvelé la légitimité des dirigeants en place. Dans ce rapport, nous analysons ce processus pour les trois pays qui forment ensemble le rayon d’action d’EurAc. Au Rwanda, le 9 août 2010, les élections ont été gagnées par le Président sortant Paul Kagame, candidat du FPR, avec un résultat écrasant de 93% des votes contre trois candidats décrits par l’opposition comme des candidats « satellites » formant une opposition de façade pour maintenir l’illusion de pluralisme. Dans une première phase de la période préélectorale, le combat du régime se focalisait autour de l’opposition classique, et notamment autour de la flamboyante Victoire Ingabire, dont les messages clairs et le style direct attiraient beaucoup d’attention. En mars 2010, les tensions changeaient fondamentalement de nature, avec la dissidence du général Faustin Kayumba Nyamwasa, compagnon de route de longue date du Président Kagame et une des personnes les plus puissantes de l’armée rwandaise. D’un coup, le premier souci du régime n’était plus l’opposition classique. A partir de début mars 2010, l’inner circle du pouvoir se sentait menacé dans sa cohérence et devait se battre contre sa propre désintégration. Au Burundi, le cycle électoral a commencé le 24 mai 2010 avec les élections communales. Le taux de participation était de 92%, et la victoire du parti au pouvoir était écrasante (64%), suivi de très loin par le FNL (14%). Après les élections communales du 24 mai, six des sept candidats pour la présidence burundaise se sont retirés des présidentielles, réduisant ainsi ce scrutin à un plébiscite pour reconduire le Président sortant, Pierre Nkurunziza. Cette décision a été prise à cause de ce que l’opposition a dénoncé comme étant des « fraudes massives ». Or, les missions d’observation électorale, dont celle de la COSOME et d’EurAc, ont certes parlé d’irrégularités, mais n’ont pas constaté de fraudes massives. Les élections burundaises de 2010 ont été une importante marche en arrière dans la démocratisation du pays. Le résultat en est un quasi-monopole du parti au pouvoir dans les institutions à tous les niveaux (une situation qui évoquait les mauvais souvenirs du temps du monopartisme) et une opposition frustrée et marginalisée à l’extérieur du pays. Le potentiel de violence augmentait de façon significative avec une opposition, dont une partie importante avait ses racines dans la lutte armée. En RDC, les élections du 28 novembre 2011 ont eu lieu avec beaucoup d’irrégularités et la situation est devenue très tendue dans les jours et les semaines après le scrutin. Le temps a désamorcé la bombe. Même si les résultats des élections restaient contestés, l’explosivité de l’impasse s’effaçait graduellement avec la certitude que ni l’annulation des élections et la réédition des opérations électorales, ni le recomptage des votes n’étaient des options sérieuses. Et le parcours invraisemblable des bulletins de vote après le 28 novembre rendait un recomptage techniquement impossible. Dans les premiers mois de 2012, les différents acteurs politiques congolais (à l’exception de Tshisekedi) s’appropriaient les résultats de ces élections, dont tout le monde convenaient qu’ils étaient très discutables. Dans ce rapport, nous cherchons à analyser comment dans les trois pays le régime a organisé des élections formelles, tout en gardant un contrôle maximal sur la machinerie électorale et sur l’opinion publique. Nous regardons aussi de plus près comment dans aucun des trois pays, l’opposition n’a pu créer l’impression qu’elle était prête pour prendre la relève après un éventuel changement de régime. Les partis d’opposition étaient institutionnellement faibles et/ ou très divisés. Ils ont dû se défendre avec des armes très inégales par rapport à celles de leurs adversaires. Ils n’ont pas su faire la différence. Au Rwanda, l’opposition a été écartée plusieurs mois avant les élections ; au Burundi elle a quitté l’arène après le premier scrutin (les élections communales) et au Congo, elle n’a pas pu capitaliser le sentiment de ras-le-bol qui régnait au sein d’une grande partie de l’électorat parce qu’elle n’a pas pu mettre en place une constellation politique cohérente et solide. Nous voyons comment le déficit démocratique dans les trois processus électoraux a été à la base d’une perte de cohésion des forces armées et d’un risque immédiat de recrudescence de violence. Nous analysons comment la fuite de Kayumba Nyamwasa et d’Agathon Rwasa ainsi que l’impact du climat électoral sur le paysage politico-militaire à l’est du Congo sont devenus des facteurs importants de déstabilisation. L’absence d’une vraie opposition parlementaire met une grande pression sur la société civile. Elle veut participer au débat national et être considéré comme partenaire à consulter sur les grands dossiers qui concernent la nation. Dans un contexte où l’opposition joue un rôle marginal, elle devient (ensemble avec les média) un des rares endroits où des opinions divergentes et des commentaires critiques sont formulés. Souvent, ses cadres et ses militants sont ciblés, comme les journalistes, par des actes de répressions spécifiques. L’assassinat de Floribert Chebeya le 1ier juin 2010 en a été la preuve la plus connue. Les irrégularités, les tricheries, les intimidations, la violence etc. ont mis à mal la crédibilité et la légitimité de l’architecture institutionnelle en Afrique Centrale. Ceci risque d’avoir comme conséquence que la population va rapidement perdre toute confiance dans les élections comme voie pour réaliser le changement. Les partenaires internationaux, y compris l’Union européenne, n’ont pas eu un impact important en faveur de la démocratie. Ils ont été très ambigus dans les signaux concernant la démocratisation. Les pays occidentaux insistent beaucoup sur la tenue des élections mais vont très loin dans l’acceptation des pratiques non-démocratiques. Peut-être les partenaires internationaux n’ont-ils pas les bons instruments pour faire la différence. Dans le cas du Congo par exemple, on ne peut éluder la question suivante : quel impact peut-on attendre d’un encadrement des partenaires occidentaux sur la base de schémas classiques et à grand renfort de programmes standardisés conçus pour des contextes post-conflit, alors que la page du conflit n’a, jusqu’à maintenant, jamais vraiment été tournée en Afrique centrale. Si nous voulons que les citoyens continuent à croire dans les élections, il faut garantir qu’elles soient crédibles. Il est essentiel non seulement veiller sur le processus électoral en tant que tel, mais également d’investir dans une transformation du paysage politique. Il est aussi impératif de contribuer à la démilitarisation de l’arène politique, par exemple par le renforcement des partis politiques (de la majorité et de l’opposition) et des parlements (aussi bien les élus que les fonctionnaires). Enfin il est urgent de préparer le terrain pour que les communautés locales s’approprient les valeurs et les concepts de la démocratie à travers l’éducation civique et l’appui aux missions d’observations mises en place par la société civile. L’ombre des urnes et des armes sur les Grands Lacs

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