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RCA : femmes médiatrices de paix

Publié le 13.01.2021| Mis à jour le 02.01.2022

Quand une société est en mille morceaux, il faut recoller. Et pour cela, mieux que des grands discours, il faut commencer petit, et tout près de chez soi. Voici, très résumée, la philosophie des médiatrices de paix centrafricaines. Sur le papier, c’est très simple. Dans la réalité de ce pays brisé, c’est un peu plus compliqué.


En cette fin d’année 2020, Marie-Mathurine Dongoula, Awa Abdaraman, et leurs compagnes du village de Koulamandja, à 22 kilomètres au nord de Bangui, ont fort à faire. La peur est revenue, et avec elle, les tensions entre voisins, dans les couples, dans les familles. Deux jours avant notre visite, une rumeur a couru : « Ils arrivent ! » a lancé un habitant, puis un autre, en parlant des groupes armés. L’effroi les a saisies, puis Marie-Mathurine et Awa ont décidé de ne pas fuir, et elles ont convaincu les autres. Avec ce qu’elles ont appris à faire : dialoguer, apaiser, expliquer. Chacun est resté chez soi, pour ne pas livrer les modestes maisons aux pilleurs. Qui ne se sont finalement jamais montrés.

Elles sont une cinquantaine dans le village à appartenir au réseau de médiatrices de paix formées depuis 2015, en pleine guerre civile, par la Pijca (Plateforme interconfessionnelle de la Jeunesse centrafricaine). Un programme conçu et financé par le CCFD-Terre Solidaire, destiné à régler les conflits locaux et contribuer à la réconciliation. Chrétiennes, comme Marie-Mathurine, et musulmanes, comme Awa, elles opèrent main dans la main. Ce qui, ici, a son importance.

Dans les soubresauts depuis des décennies

La Centrafrique vit dans les soubresauts depuis des décennies. La dernière a été particulièrement sanglante. En 2013, une coalition de groupes armés venus du nord et de l’est du pays, la Seleka, prend le pouvoir à Bangui. Ils prétendent agir au nom des musulmans, discriminés depuis longtemps. En fait, ils pillent, tuent et violent, sans égard pour la confession ou le genre. Le président renversé, François Bozizé, appuie la création de groupes d’auto-défense, chrétiens ceux-là, les anti-balaka. Qui usent des mêmes méthodes que leurs ennemis. La religion instrumentalisée, la guerre devient civile et confessionnelle.

La « crise », comme disent les Centrafricains dans un euphémisme dont ils ont le secret, n’est pas terminée, malgré un accord de paix signé en février 2019. Le 16 décembre dernier, les ennemis d’hier, Seleka et anti-balaka, se sont unis pour lancer une nouvelle offensive contre les autorités centrales. De différences religieuses, il n’est plus question. Aujourd’hui, il s’agit de banditisme, beaucoup, et de politique, un peu.

Malgré la panique que suscitent ces hommes armés sur leurs motos ou leurs pick-up, le réseau des médiatrices sociales pour la paix fait partie de ces structures qui tiennent le coup. Et qui permettent à la société de ne pas s’effondrer. Exclusivement féminin, il se développe en rhizome : les médiatrices en forment d’autres, elles-mêmes vouées à partager leur expérience. Elles sont plus de 300 dans tout le pays aujourd’hui.

« Tache d’huile »

À l’origine, une toute jeune femme, Adja Kadije, 26 ans aujourd’hui, ingénieure civile, militante de la paix depuis 2013 et une des premières filles à œuvrer au sein de Pijca à partir de 2014. Elle-même a bénéficié d’une formation de l’association française Génération Médiateurs. « Les femmes ont beaucoup de contacts dans la société. Elles sont éducatrices, elles vont chercher l’eau, le bois de chauffe, elles font les courses. Une fois formées aux questions de paix et de sécurité, elles en discutent à la maison, avec leurs amies, dans leur quartier, et ça fait tache d’huile. »

Véronique Apenge, 27 ans, étudiante et secrétaire générale adjointe de Pijca filles, se souvient de la première formation, à Boda, ville à 200 km et une demi-journée de piste de Bangui. Les communautés confessionnelles s’y étaient violemment affrontées, au point de couper la localité en deux. « Les chrétiennes et les musulmanes refusaient de se parler, raconte-t-elle. Elles juraient qu’elles ne pouvaient pas pardonner. Il y a eu beaucoup de pleurs. » Et puis la conciliation a fait son chemin et les médiatrices de Boda ont, elles-mêmes, formé d’autres femmes, dans les villages alentours.

« Ils ont fini par déposer les armes »

Marie-Mathurine et Awa, elles, ont eu fort à faire avec les anti-balaka de leur village. « Nous intervenions pour qu’ils cessent leurs forfaits, se souvient Marie-Mathurine. Ils se reconstituaient sans cesse, perturbaient les réunions des femmes. » À force de discussions et de pressions, ils ont fini par déposer les armes. Les médiatrices ont ensuite œuvré pour qu’ils réintègrent la communauté. « Beaucoup de gens voulaient les chasser. Nous avons sensibilisé, négocié, rappelé qu’ils étaient d’ici, qu’ils étaient nos enfants », raconte Awa. Même Esther Ndewe a accepté. Cette mère de famille de 32 ans avait pourtant reçu, en 2013, deux balles dans la jambe qui l’ont laissée handicapée, parce qu’elle avait eu un enfant avec un musulman. Elle appartient aujourd’hui au réseau des médiatrices de paix. « Ce que je veux voir dans mon pays demain, il faut que je le fasse dans mon quartier aujourd’hui », conclut Adja.

Par Gwenaëlle Lenoir

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