Un an après, quelles réponses à la crise alimentaire ?
Un an après, quelles réponses à la crise alimentaire ?
Il y a un an, les « émeutes de la faim »…
Il y a un an, le monde assistait médusé à la multiplication des « émeutes de la faim » dans 38 pays en développement, à la suite de la hausse des cours mondiaux des matières premières agricoles. Ces manifestations contre la vie chère étaient le fait essentiellement de consommateurs, populations urbaines approvisionnées jusque-là par des importations à bas prix. Ces troubles mettaient ainsi en lumière la dépendance alimentaire de ces pays, le plus souvent paradoxale avec un potentiel de production considérable, à la fois sur le plan agronomique (vastes réserves en foncier, possibilités d’aménagements hydrauliques, etc) et humain (avec environ 70% de la population en milieu rural). La crise alimentaire vient hélas conforter le CCFD-Terre solidaire dans son plaidoyer en faveur d’un investissement conséquent dans l’agriculture et de politiques publiques nationales et internationales de régulation des marchés et du commerce.
… qui venaient s’ajouter à la faim chronique existante
A ce jour, la FAO a comptabilisé plus de 110 millions de personnes supplémentaires touchées par la faim, chiffre susceptible d’évoluer encore à la hausse. Ces consommateurs pauvres venaient s’ajouter aux masses rurales silencieuses qui constituaient jusque-là la majorité des affamés : en 2007, les trois-quarts des 850 millions de personnes souffrant de la faim sont des paysans ! De fait, avec 963 millions de personnes recensées en décembre 2008 par la FAO, c’est une personne sur six dans le monde qui souffre de la faim de façon durable [[Le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde selon la FAO était de 850 millions début 2008, 925millions en septembre, et 963 millions en décembre 2008, avec une tendance à la hausse dans les prochains mois, conséquence de la crise alimentaire.]], une personne sur trois souffre de malnutrition.
Cette situation marque la faillite de la communauté internationale pour lutter efficacement contre la faim, malgré les proclamations répétées notamment en 1974 [[Avec notamment la création du Fond d’investissement pour le développement agricole (FIDA) pour lutter contre les effets de la récession économique sur la sécurité alimentaire]], en 1996 [[Lors du Sommet Mondial de l’alimentation (Rome)]] et à travers le premier Objectif du millénaire pour le développement (qui fixait la division par deux du nombre d’affamés entre 2000 et 2015).
Depuis 1960, le CCFD-Terre solidaire soutient ses partenaires dans 70 pays du Sud sur des initiatives et projets de terrains, en faveur des agricultures familiales et vivrières, et de la souveraineté alimentaire.
Néanmoins, des espoirs étaient nés…
La médiatisation des manifestations, ainsi que les risques politiques qu’elles comportaient, ont obligé gouvernements et institutions à remettre en haut de l’agenda la question de la sécurité alimentaire. Ces interrogations faisaient suite au Rapport 2008 [[Paru en octobre 2007]] de la Banque mondiale sur l’agriculture, soulignant le manque d’engagement croissant de la communauté internationale dans ce secteur. Ainsi, le budget agricole de la coopération au développement est passé de 17% en 1980 à 3% aujourd’hui, tandis que les pays d’Afrique subsaharienne n’y investissent que 4% de leur PIB, malgré une population essentiellement rurale ! Le rapport rappelait également la pertinence de l’investissement agricole : un dollar consacré à l’agriculture est quatre fois plus efficace pour lutter contre la pauvreté qu’un dollar investi dans un autre secteur. La crise était également l’occasion de réhabiliter un vocabulaire qui paraissait alors désuet, tel que « agricultures familiales », « production vivrière », ou « souveraineté alimentaire ». Les négociations OMC de juillet 2008 ont d’ailleurs échoué après avoir buté sur le désaccord entre les Etats-Unis et l’Inde sur une clause de protection réclamée par cette dernière dans l’éventualité de pics d’importations agricoles, susceptibles d’affecter les petits producteurs. Enfin, lors du « Sommet de l’alimentation » de la FAO en juin 2008, 183 pays s’engageaient, malgré des annonces contradictoires et évasives en termes de stratégies et politiques à adopter, à investir durablement dans l’agriculture et à lutter contre la faim.
L’amer constat de la Réunion de Madrid : plus d’affamés, mais des promesses non-tenues
La Réunion de haut niveau de Madrid « la sécurité alimentaire pour tous », tenue fin janvier sous l’égide des Nations-Unies, a dressé un double constat mettant le holà aux enthousiasmes qui avaient pu être suscités. D’une part, le nombre de personnes affectées par la faim chronique est monté à 963 millions de personnes [[Chiffre fourni par la FAO en décembre 2008, susceptible d’évoluer à la hausse.]] ; d’autre part, les annonces financières faites à Rome par les pays développés n’ont pas été tenues, avec seulement 10% des 22 milliards de dollars décaissés [[Allocution d’ouverture de Jacques Diouf, directeur de la FAO, à la Réunion de Madrid]]. La Réunion a été toutefois l’occasion de réaffirmer au plus haut niveau le Droit à l’alimentation [[A travers l’allocution d’ouverture d’Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, et le discours de clôture de Ban Ki Moon, secrétaire général des NU.]] ratifié par la majorité des pays à travers la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais cette affirmation reste dans une impasse, en l’absence de politiques de mise en œuvre au niveau national. Par ailleurs, comme l’a souligné Olivier de Schutter, « le système actuel nous mène au désastre » [[Allocution d’ouverture d’Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation.]], et le respect du droit à l’alimentation exige une remise à plat de certaines règles commerciales et des modèles économiques basés sur l’exportation, ainsi qu’une meilleure régulation des marchés mondiaux.
Le CCFD-Terre solidaire a fait partie de la délégation française au Sommet de Rome en juin 2008, et à la Réunion de Madrid « la sécurité alimentaire pour tous » en janvier 2009, afin de porter la voix de la société civile.
Sur le terrain, peu d’initiatives durables
Au plus haut de la crise alimentaire, fin 2007-début 2008, plusieurs pays avaient adopté diverses mesures d’urgence afin de restreindre la hausse des prix sur leurs marchés intérieurs ou d’atténuer leurs conséquences : restriction des exportations (Argentine, Inde, Burkina-Faso…), reconstitution de stocks (Thaïlande,…), suppression des droits de douane (Malaisie, nombreux pays africains,…), distribution de bons alimentaires (Inde, Niger,…), contrôle des prix (Malaisie, Congo,…), hausse des salaires (Cameroun,…), etc.
Néanmoins, la question de la relance agricole dans des pays disposant d’un potentiel de production doit nécessairement être posée. Quelques initiatives ont effectivement vu le jour : réorientation des aides publiques vers le vivrier (Colombie, Sénégal…), réorientation de la politique en faveur de la souveraineté alimentaire tournée vers le marché intérieur et non l’export (Bolivie,…), promotion des variétés locales vivrières (Ghana,…). A ce jour, il semble cependant que ces pays restent isolés dans leur démarche.
En réponse à la crise alimentaire, très peu de pays se sont dotés à ce jour de politiques agricoles et commerciales cohérentes, visant à assurer une souveraineté et une sécurité alimentaire à leur population. Parmi eux, on peut citer le Venezuela qui a adopté en juillet 2008 une loi organique sur la sécurité et la souveraineté alimentaire reposant explicitement sur le droit à l’alimentation.
Le CCFD-Terre solidaire soutient chaque année plus d’une centaine d’initiatives de ses partenaires du Sud en faveur de la sécurité et la souveraineté alimentaire, et les appuie dans leur plaidoyer auprès de leurs propres pouvoirs publics.
L’accaparement des terres, conséquence du manque de régulation du commerce mondial
Le phénomène d’accaparement des terres dans les pays du Sud, illustré par le cas médiatique de Madagascar ayant projeté de louer prés de la moitié de ses terres agricoles à l’entreprise coréenne Daewoo, est une conséquence directe de la crise alimentaire 2007-2008. En effet, la hausse brutale ainsi que la volatilité record des cours mondiaux ont effrayé les pays structurellement importateurs et disposant de réserves de devises (pays du Golfe, tigres asiatiques, Chine,…) qui avaient jusque-là recours au marché mondial pour s’approvisionner. Face aux prévisions d’une hausse des prix durable, et en l’absence de politiques et d’outils internationaux de régulation des marchés mondiaux, ces pays font aujourd’hui le choix de diversifier leur approvisionnement en ayant recours à l’achat de terre à l’étranger et à leur mise en culture pour leurs propres besoins. Ce phénomène est appelé à continuer et s’étendre dans les prochaines années, souvent au détriment des populations rurales locales.
Le CCFD-Terre solidaire soutient ses partenaires engagés sur le terrain dans la défense des agricultures familiales et vivrières face à l’extension des monocultures et de l’agrobusiness, mais aussi à travers des campagnes telles que « le soja contre la vie » (2006) ou « les agrocarburants, ça nourrit pas son monde » (2008). Il mène également un plaidoyer auprès des pouvoirs publics et européens ou auprès des institutions internationales en faveur d’une régulation mondiale des marchés.
Rôle et responsabilités de l’Union européenne
La Commission européenne vient de lancer en mars 2009 son appel à projet sur le fameux « 1 milliard d’euros » pour la relance agricole d’urgence, qui concerne une cinquantaine de pays pour la période 2009-2011. Cette initiative est la bienvenue, en dépit d’interrogations autour du respect des principes de la Déclaration de Paris sur la prévisibilité et l’appropriation de l’aide par les pays bénéficiaires. Néanmoins, elle ne doit pas éluder la question du respect des engagements des Etatsmembres européens à porter à 0,7% de leur PIB leur aide au développement, et à valoriser l’aide à l’agriculture à l’intérieur de cette enveloppe (3% aujourd’hui seulement !).
L’Union européenne ne pourra pas non plus faire l’économie d’une révision de certaines de ses politiques affectant gravement la sécurité alimentaire des pays du Sud. Face à « l’impératif moral » [[Discours de clôture du premier ministre espagnol Zapatero, réunion de Madrid, 27 janvier 2009]] de lutter contre la faim et la pauvreté, il est notamment nécessaire de réviser les politiques suivantes :
1. Modifier les APE pour permettre une protection des marchés agricoles locaux. Les Accords de partenariat économique imposent aux pays ACP, au nom de l’OMC, l’ouverture de leurs marchés aux exportations européennes, en concurrence directe avec les filières locales. Une exception pour les produits agricoles est nécessaire, au-delà de ce qui est discuté actuellement autour de quelques filières.
2. Revoir à la baisse les ambitions pour les agrocarburants. L’UE a adopté en décembre 2008 un objectif ambitieux d’incorporation de 10% d’agrocarburants d’ici 2020 pour les transports européens, qui repose en grande partie sur les importations. La création de ce marché rentable attise les projets de monocultures énergétiques d’exportation dans les pays du Sud, au détriment des agricultures familiales et vivrières locales.
3. Supprimer les restitutions aux exportations. Même si l’Union européenne a un recours moindre à ces restitutions que par le passé, elle doit respecter sa promesse de supprimer cet outil qui permet l’exportation de produits agricoles dans les pays du Sud à un prix inférieur au coût de production, en concurrence déloyale avec les produits locaux. L’UE réutilise par exemple ces restitutions pour le lait depuis décembre 2009.
Le CCFD-Terre solidaire mène un travail de plaidoyer sur ces sujets auprès des décideurs français et européens, afin de peser sur les négociations et décisions en cours.
Nécessité d’ouvrir un espace de discussion : vers un Partenariat mondial ?
La mise en place éventuelle d’un « Partenariat mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire » a été au centre de la Réunion de Madrid. Ses contours et ses objectifs restent toutefois extrêmement flous aujourd’hui. Tel que proposé par la France lors du Sommet de Rome, ce partenariat mondial aurait pour objectif de « stimuler une action cohérente, durable, orientée vers des résultats, et efficace pour la situation actuelle et à venir d’insécurité alimentaire ». Il serait décliné en trois « piliers » :
· politique : pour une meilleure coordination et une plus grande cohérence des stratégies et des politiques internationales ayant un impact sur la sécurité alimentaire, notamment en matière de règles commerciales, de politiques structurelles, de régulation mondiale.
· scientifique : grâce à l’expertise scientifique et professionnelle déjà existante, et afin d’éclairer les décideurs sur les choix de long terme.
· financier : pour des mesures de sécurité sociale (bons alimentaires…) des populations les plus vulnérables, et pour une relance des agricultures dans les PED.
Soutenu par le Secrétaire général des Nations-Unies, cette proposition devrait être discutée tout au long de l’année 2009, pour un éventuel lancement à la fin de l’année. Si la proposition de créer de manière inédite un lieu de discussion et d’orientation réunissant l’ensemble des acteurs concernés (y compris la société civile) pour aborder des questions par nature multilatérales est extrêmement intéressante, la qualité de ce projet dépendra de l’ambition que pays et institutions voudront bien lui accorder.
Le CCFD-Terre solidaire participe aux travaux du Groupe interministériel sur la sécurité alimentaire, au titre de représentant des ONGs françaises de développement. Ce groupe, créé en avril 2008, a élaboré la proposition de partenariat mondial, présentée par la France au Sommet de Rome. Le CCFD-Terre solidaire, avec Coordination sud, va s’adresser aux 82 plates-formes internationales d’ONG pour proposer d’accompagner la construction de ce partenariat, sous réserves de conditions.
Ambroise Mazal,
Chargé de mission
Souveraineté alimentaire au CCFD-Terre Solidaire
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