Décrytage : Populisme ou xénophobie d’État ?

Publié le 18.11.2011

Libération extraordinaire des propos xénophobes et islamophobes, renforcement des dispositifs de surveillance et de répression envers les étrangers : l’inscription de la France dans une tendance nationale-sécuritaire ne fait plus de doute. Reste à savoir s’il s’agit d’une tendance lourde.


Dans un entretien publié dans le Parisien, en mars 2006, Nicolas Sarkozy, président de l’UMP et ministre de l’Intérieur ne cachait pas sa volonté de « séduire » les électeurs du Front national. « Qui pourrait m’en vouloir de récupérer ces gens dans le camp républicain ? » avait-il justifié. À quelques mois de la fin de son mandat présidentiel, force est de constater que la ligne rouge a été franchie. Mais dans le sens opposé à celui annoncé.
La création, en mai 2007, du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire – une première dans l’histoire de la république, unique en Europe –, marque un premier seuil. Sa suppression, en novembre 2010, ne constitue nullement une inflexion, la politique de l’immigration étant cédée « d’un bloc » au ministère de l’intérieur. « Ce qui renforce et officialise comme allant de soi la liaison entre contrôle de l’immigration et défense de l’ordre public » souligne Olivier Le Cour Grandmaison, enseignant-chercheur en sciences politiques [[Olivier Le Cour Grandmaison a notamment dirigé l’ouvrage collectif Douce France. Rafles. Rétentions. Expulsions. Éditions du Seuil, oct. 2009. ]].
On assiste par ailleurs à une libération des discours xénophobes provenant des plus hautes sphères de l’État. À la faveur notamment du débat sur l’identité nationale en automne 2009 qui enrôle le corps préfectoral, la question de l’immigration ouvre la voie à tous les amalgames. Qu’on se souvienne du discours de Nicolas Sarkozy en juillet 2010 à Grenoble où il programmait d’un seul trait : « Le refoulement des Roms migrants », « la guerre contre les voyous », « la déchéance de la nationalité française », « la révision des prestations sociales destinées aux personnes sans papiers » et « la suppression des allocations familiales aux parents défaillants ».
Pour nourrir le fantasme d’une identité nationale menacée, les musulmans sont montrés du doigt. Le président de la république martèle le concept d’« un islam de France et non d’un islam en France » tandis que le ministre de l’Intérieur s’émeut, s’appuyant sur des chiffres très controversés de « l’accroissement » du nombre de musulmans en France. « La laïcité est ainsi instrumentalisée pour diviser les Français, alors qu’elle est conçue pour les unifier », rappelle l’historien Patrick Weil [[Interview de Patrick Weil, du 24 mars 2011 ; dans les inrocks.com]]. Instrumentalisé également, le concept d’intégration. Selon le sociologue Eric Fassin : « Aujourd’hui, le motintégration ne signifie plus « intégrer », mais « s’intégrer ». C’est « leur » responsabilité, et non la « nôtre ». Cette dissymétrie dit tout : l’intégration n’est invoquée que pour tracer des frontières – et non pour les effacer ». [[« La fièvre assimilationniste », chronique d’Eric Fassin du 27 juillet 2011 sur regards.fr]]

La loi organise l’insécurité juridique des migrants

Dans ce contexte de criminalisation de l’immigration, les personnes sans papiers sont les plus exposées. Tandis que les quotas d’expulsion ne cessent de croître (25 000 reconduites à la frontière fixées pour 2007, objectif de 30 000 pour 2011), la loi relative à l’immigration de la mi-juin 2011 renforce, une nouvelle fois, les dispositifs répressifs tout en consacrant le pouvoir discrétionnaire de l’administration. Augmentation de la durée possible de rétention de trente-deux à quarante-cinq jours ; réduction du pouvoir du juge judiciaire qui permet d’expulser sans vérifier la légalité de la procédure ; interdiction de retour applicable à tout étranger…
La Cimade craint que ces mesures, en particulier celle du bannissement, ne dissuadent les personnes sans papiers de solliciter leur régulation. « Il n’existe pas de critères stables de régularisation, résume Jérôme Martinez, secrétaire général de l’association. Aujourd’hui, personne n’est capable de dire si accompagner quelqu’un à la préfecture se conclura par la délivrance d’un titre de séjour ou par le fourgon de police. Ça dépend du guichet. La loi organise l’insécurité juridique des migrants, alors même que le nombre de régularisations reste stable depuis des années. »
Sans compter que la chasse aux clandestins pèse sur tous les étrangers ou supposés l’être. Selon une enquête menée à Paris d’octobre 2007 à mai 2008, les personnes d’apparence arabe ont 7,8 fois plus de risques de subir un contrôle d’identité que les « Blancs », et les « Noirs » 6 fois plus [[Enquête de deux chercheurs du CNRS, Fabien Jobard et René Lévy, citée par Olivier Le Cour Grandmaison.]].
Enfin, les politiques anti-migratoires banalisent des pratiques sécuritaires, ce qui, à terme, menace toute la population. « Les étrangers servent de laboratoire à des dispositifs intellectuels, juridiques et policiers qui finissent par s’élargir aux nationaux » alerte Jérôme Valluy, enseignant-chercheur en sociologie politique [[Jérôme Valluy est l’auteur de Rejet des exilés – Le grand retournement du droit de l’asile. Éditions du Croquant/Collection Terra, 2009]]. C’est le cas notamment du passeport biométrique imposé contre l’avis de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), dans le climat de l’après-11 septembre 2011 et de la gestion européenne des flux migratoires [[Article de Valsamis Mitsilegas « Contrôle des étrangers, des passagers, des citoyens : surveillance et anti-terrorisme » dans la revue Cultures & Conflits, n°58 (2005)]].

« Les étrangers servent de laboratoire à des dispositifs intellectuels, juridiques et policiers qui finissent par s’élargir aux nationaux. »
Jérôme Valluy, enseignant-chercheur en sociologie politique (5).

Populisme : un arbre qui cache la forêt

Cette xénophobie d’État peut-elle être pour autant être réduite à l’opportunisme politique d’une droite décomplexée ? Pour Jérôme Valluy, distinguer la xénophobie d’État d’une xénophobie populiste est capital. « Il ne faut pas confondre l’utilisation d’une tendance historique pour accéder au pouvoir ou le conserver, avec la tendance elle-même, insiste-t-il. La xénophobie d’État s’exprime moins par des slogans extrémistes et des discriminations ordinaires (à l’embauche, par la force publique…) que dans des discours policés et dans des actes – législatifs, administratifs, juridictionnels, symboliques – qui présentent implicitement, ou sur le mode de l’évidence, l’étranger comme un problème. »
En ce sens, la xénophobie d’État puise ses racines dans l’histoire du fait colonial et de la décolonisation. Des recherches montrent que ce n’est pas la crise économique qui provoque la résurgence des partis d’extrême droite dans l’Europe des années 1980. L’idée d’une menace migratoire est diffusée par l’appareil d’État – ministres, conseillers, hauts fonctionnaires… – dès les années 1960, préparant ainsi l’avènement d’une xénophobie populiste qui n’apparaitra dans le champ électoral et les suffrages, qu’après le début des politiques anti-migratoires.
Leçon à tirer ? « Les moyens de résister ne sont pas les mêmes selon que l’on considère la xénophobie d’État comme un simple aléa qu’une alternance électorale pourrait balayer ou comme une histoire longue ayant façonné notre culture politique, affirme Jérôme Valluy. Rappelons qu’en plein régime démocratique, 100 000 à 150 000 Juifs allemands qui s’étaient enfuis d’Allemagne ont été remis aux autorités allemandes par la France, entre 1934 et 1939. La xénophobie d’État repose sur un rapport de force politique. Or, il existe un nationalisme implicite et non assumé, porté par une élite de gauche, qui s’exprime surtout par son mutisme, mais qui n’en pèse pas moins dans la balance. »

Le constat est le même au niveau européen. Attention, le populisme pourrait bien être l’arbre qui cache la forêt.

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