Sri Lanka, la paix n’est pas la priorité du gouvernement

Publié le 04.06.2014| Mis à jour le 08.12.2021

Alors que la guerre qui opposait le gouvernement sri lankais aux Tigres tamouls a pris fin en mai 2009, les populations tamoules du Nord du pays, et notamment les femmes, connaissent toujours l’humiliation et la misère. Un sort que partagent de plus en plus de Cinghalais. Raajan Francis, coordinateur national de l’ONG sri lankaise Nafso (National Fisheries Solidarity Movement), partenaire local du CCFD-Terre Solidaire, nous en dit plus.


Cinq ans après la fin de la guerre, les populations déplacées ont-elles pu rentrer chez elles ?
Si l’on s’en tient aux déclarations faites à Genève par les représentants du gouvernement sri lankais, il n’y a plus de déplacés dans le pays. Dans le même temps, le ministre de la Réinstallation annonçait dans la presse officielle qu’il y aurait encore quelque 27 000 familles déplacées. Nombre d’entre elles vivent toujours dans des abris soi-disant « temporaires » perdus au milieu de nulle part. Dans des cabanes qui prennent l’eau quand il pleut. Sans eau potable ni électricité, sans sanitaires. Des villageois qui étaient retournés chez eux n’ont pas pu entrer dans leur village car l’armée avait entre-temps réquisitionné leurs terrains. D’autres, qui avaient trouvé refuge dans des lieux privés, doivent maintenant les quitter. Mais pour aller où ? Les seuls moments où l’on voit les autorités s’agiter, c’est lorsqu’une huile des Nations unies débarque au Sri Lanka. Les contrôles routiers disparaissent alors comme par magie et l’on distribue une poignée de maisons à des déplacés. Pour la photo.

Cette guerre a laissé derrière elle beaucoup de veuves. Comment s’en sortent-elles ?
Beaucoup ne savent toujours pas ce qui est arrivé à leurs pères, leurs maris, leurs frères, leurs fils. Et la récente décision prise par le gouvernement de délivrer des certificats de décès pour tous les disparus ne peut que les inquiéter davantage. Le pire étant que la cause de décès mentionnée sur ces certificats fait état de « mort naturelle » ! Maintenant, pour ce qui est de leur quotidien, il ne faut pas oublier que, chez les Tamouls, celui qui rapporte l’argent à la maison, c’est l’homme. Ceux-ci ayant disparu, ces femmes se retrouvent aujourd’hui seules pour faire vivre leur famille[[On estime à près de 90 000 le nombre de veuves de guerre au Sri Lanka.]] et sont dans une précarité d’autant plus grande que le gouvernement ne fait rien pour elles. Nous avons bien mis en place quelques programmes de développement, mais ils ne touchent qu’une petite partie d’entre elles et, malheureusement, pour survivre, certaines n’ont pas d’autres choix que de vendre leur corps.

Quid de la réconciliation entre les deux communautés ?
Comment peut-on parler de réconciliation alors que, quelques jours avant les célébrations de l’Indépendance[[Les Sri Lankais fêtent leur indépendance de la Couronne britannique le 4 février (1948).]], le président demandait que l’hymne national ne soit plus chanté qu’en cinghalais[[La Constitution de 1972 précise que l’hymne national peut être chanté en cinghalais ou en tamoul.]] ? Lorsque, chaque année au mois de mai, le gouvernement fête en grandes pompes la victoire sur les Tamouls, alors que ce jour est une jour de deuil et de tragédie pour ces populations ? Quand d’anciens membres des Tigres continuent de disparaître régulièrement ? Quand le gouvernent ne respecte même pas les recommandations faites par la Commission de réconciliation[[Créée à l’initiative du président Mahinda Rajapaksa en 2010, la Commission sur les leçons retenues et la réconciliation (LLRC), fut fondée pour répondre aux diverses accusations de crimes de guerre et aux demandes d’enquêtes internationales faites, entre autres, par les Nations unies après la fin de la guerre.]] qu’il a lui-même créé ? Tout cela montre que la priorité de ce gouvernement n’est certainement pas la réconciliation.

Qu’en est-il des défenseurs des droits de l’homme au Sri Lanka ?

Les représentants des ONG et de la société civile sont désormais les premiers visés par le gouvernement, qui les accusent de propager de fausses informations à l’étranger et les traite de « traitres » lorsqu’ils se rendent à Genève. Viennent ensuite les journalistes, encore qu’il y en ait de moins en moins. Les meilleurs ont déjà quitté le pays et ceux qui restent se contentent de relayer la propagande gouvernementale. La répression s’étend enfin jusqu’au niveau le plus bas de la société, dans les plus petits villages où dès que quelqu’un ose élever la voix, on lui conseille d’« être prudent ». Alors qu’il existait un seul porte-parole « national » pour l’Armée, le gouvernement a récemment annoncé qu’il y aurait désormais des porte-parole militaires « régionaux ». Ceci montre une entreprise de militarisation du pays.

Une militarisation de tout le pays ?
À la fin de la guerre, en 2009, il y avait en tout au Sri Lanka 200 000 militaires. Aujourd’hui, on en est à 250 000. Rien que dans le Nord, il y a seize divisions, soit 160 000 hommes. On peut donc parler de véritable colonisation dans cette région. Mais la question ne concerne désormais plus seulement les Tamouls. En 2010, la Marine a ainsi chassé près de trois cent cinquante familles de leurs villages, dans le district d’Ampara. Ces familles sont pourtant cinghalaises et ont toujours soutenu ce régime pendant la guerre. Leur seul tort est de vivre dans un cadre naturel magnifique dont la Marine s’est emparé pour y construire des hôtels et des bungalows. Le cas n’est pas isolé. À travers ces accaparements faits par les militaires, le gouvernement est en train de s’approprier les terrains les mieux situés pour y développer le tourisme ou les revendre à de grands groupes internationaux avec le désir de transformer le pays en une « Merveille de l’Asie ». Cela semble porter ses fruits puisque Lonely Planet considère désormais le Sri Lanka comme « meilleure destination touristique »…

Propos recueillis par Patrick Chesnet

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