De l’immigration à l’émigration

Publié le 18.02.2007| Mis à jour le 08.12.2021

Une fois encore, l’immigration est au centre du débat dans la perspective de la présidentielle de 2007. Pourtant, le phénomène ne connaît pas d’ampleur nouvelle. Le regroupement familial, présenté comme une sorte de brèche (la fameuse « immigration subie »), ne concerne qu’à peine plus de 20 000 personnes chaque année. Le droit d’asile est accordé au compte-gouttes, la majorité des 40 000 demandes annuelles sont rejetées. L’immigration régulière a même diminué de 2,8 % en 2005 par rapport à 2004. Résultat d’une législation de plus en plus restrictive dont se félicitent les autorités, en toute incohérence, puisqu’il a pour revers l’augmentation de l’immigration clandestine qu’on prétend combattre, notamment par un nombre d’expulsions de plus en plus élevé. Quitte à saturer les centres de rétention au-delà de ce qui est humainement supportable. Pourtant 20 à 25 000 reconduites à la frontière par an, ne sont qu’une goutte d’eau, comparées aux 200 à 400 000 étrangers en situation irrégulière.
Ce n’est sans doute pas la raison qui guide le discours politique, mais plutôt, la perception de l’immigration sur le mode de l’invasion, avec, pour corollaire, la tentation de complaire un électorat inquiet. Les émeutes dans les banlieues à l’automne 2005, les images des tentatives de passage des clandestins en Europe, la présence du monde pauvre dans notre société de consommation, la visibilité croissante de l’islam sur toile de fond de radicalisation politique de mouvements islamistes dans les pays musulmans… contribuent à donner de l’étranger une image inquiétante.
Le débat sur l’immigration baigne dès lors dans la confusion entre des problématiques différentes : problème d’insertion sociale d’une génération de citadins pauvres et ghettoïsés, immigration clandestine, terrorisme, effets de la transformation du marché mondial du travail…
La France n’a pas le monopole de cette perception. L’Europe peine à se penser comme une terre d’immigration, façonnée par des apports successifs de populations extérieures, confrontée au défi de trouver les modalités d’une coexistence entre populations de culture et de niveau social différents. Sur ce terreau prospèrent des tendances xénophobes de plus en plus assumées.
Il semble plus simple de tenir à distance ceux auxquels on attribue ces difficultés, de développer des systèmes de surveillance en Méditerranée, de faire des pays du Maghreb les sentinelles de l’Europe. Ou à l’instar des États-Unis, de construire un mur réel sur la frontière du Mexique. Cette politique ne fait pourtant que déplacer le courant migratoire, rendre le voyage de plus en plus dangereux.

3 % de la population mondiale vit hors de ses frontières

Lorsque l’on tente d’opposer à cette approche un discours d’ouverture plus humain, plus généreux sur la migration, on s’entend répondre « On voit bien que vous ne vivez pas en banlieue ! » Alors que les problèmes des cités proviennent davantage des politiques d’urbanisation des années 1960 et 1970 que de l’immigration clandestine actuelle.
Plutôt que de parler du « problème de l’immigration », il serait plus judicieux de tenter de comprendre en quoi consiste le choix d’émigrer. Près de 3 % de la population mondiale vit hors de ses frontières (environ 200 millions de personnes). Se déplacer reste une nécessité pour acquérir ce que l’on ne trouve pas chez soi : emploi, ressources financières, sécurité politique, climat vivable…
Les premiers à subir la migration sont les migrants eux-mêmes. Les résultats de la migration peuvent être bénéfiques, et il faut en avoir une perception positive pour trouver les réponses appropriées aux difficultés qu’elle pose aux sociétés d’accueil, comme aux sociétés de départ. Il n’est cependant pas pertinent de l’idéaliser. Émigrer reste une tragédie, une épreuve. Il n’est pas utile de la rendre plus traumatisante encore.


Thierry Brésillon

Paru dans Faim Développement Magazine n°218-219, janvier-février 2007

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