Migrations : « Le Maroc est une salle d’attente »
Malgré une politique d’ouverture à l’égard des migrants au Maroc, leur intégration dans le pays reste très précaire. Interview de Hicham Baraka, président de l’Association Beni Znassen pour la culture, le développement et la solidarité (ABCDS), organisation marocaine partenaire du CCFD-Terre Solidaire.
Hicham Baraka est le président de l’association marocaine partenaire du CCFD-Terre Solidaire ABCDS : Association Beni Znassen pour la culture, le développement et la solidarité.
Depuis 2013, sous l’impulsion du roi Mohammed VI, le Maroc s’est engagé dans une nouvelle orientation de sa politique migratoire. Une première vague de régularisation de migrants a été lancée en janvier 2014. Plus de 25 000 étrangers en situation irrégulière venus d’Afrique subsaharienne et de Syrie, ont reçu une carte de séjour. Essentiellement les étrangers conjoints de ressortissants marocains, les conjoints d’étrangers réguliers, leurs enfants, les détenteurs d’un contrat de travail ou ceux présents sur le territoire marocain depuis au moins cinq ans.
Fin 2016, une deuxième phase de régularisation a été décidée, prolongeant notamment la durée des titres de séjour de un à trois ans.
Deux phases de régularisation :
2014 : 25 437 migrants ont obtenu une carte de séjour (sur 27 649 demandes, soit 92 % de réponses favorables).
Dont 23 % de Syriens, 21 % de Sénégalais, 11 % de Congolais, 9 % d’Ivoiriens.
Fin 2016-2017 : 24 367 demandes ont été déposées (24 % de Sénégalais, 18 % d’Ivoiriens, 7 % de Syriens, 6 % de Guinéens (Conakry), 6 % de Camerounais). Début 2018, ces demandes n’avaient pas encore obtenu de réponse.
Malgré cette politique, les conditions de vie des migrants restent très difficiles. Comme en témoigne Hicham Baraka, président de l’association Beni Znassen pour la culture, le développement et la solidarité (ABCDS) :
« Ils sont régularisés mais ils n’ont pas de travail, ils survivent par la mendicité. Ils habitent à 20 ou 30 parfois dans un appartement. Ceux qui travaillent sont plus facilement exploités, moins bien payés que les Marocains. Ils connaissent une grande instabilité psychique. Les femmes subissent le plus de souffrances. Un migrant, qu’il soit régularisé ou non, vit la même situation. »
Installée à Oujda, près de la frontière algérienne, depuis 2005, l’association vient en aide aux migrants et s’attache à défendre leurs droits.
Une aide humanitaire et administrative
Tous les mercredis et samedis, les membres de l’ABCDS se rendent dans les zones où sont installés les migrants :
- dans les quartiers populaires d’Oujda
- ou les « tranquilos », campements de fortune.
Ils apportent des vêtements, des couvertures, de la nourriture parfois.
Le soutien est aussi administratif. L’association aide à traduire un contrat de bail pour louer un logement, à remplir un formulaire, à rédiger un CV. Elle fournit des certificats de présence aux migrants, l’une des conditions pour bénéficier de la carte de séjour, une adresse aussi.
L’association tente également de faire entendre sa voix auprès du gouvernement marocain pour faire évoluer la stratégie migratoire. Elle multiplie les actions de plaidoyer en faveur de l’intégration des migrants dans la société marocaine.
Hicham Baraka regrette :
« Il n’y a pas de stratégie claire offrant la stabilité aux migrants. Depuis trois ans, il n’ y a pas eu d’avancée législative sur la question de l’asile et de l’immigration »
Sensibiliser la population marocaine
L’association s’attaque enfin à la montée du racisme envers les migrants.
« Avant, les Marocains regardaient le migrant comme un passager, une personne à côté de lui. Maintenant, ils ont peur que les migrants prennent leurs places. »
Hicham Baraka multiplie les occasions de rencontres entre jeunes Marocains et subsahariens.
« J’organise des couscous du débat. J’invite dix migrants chez moi et dix amis du quartier afin qu’ils puissent échanger. Cela permet de changer la mentalité des jeunes. Nous avons aussi organisé un dîner dans la forêt à Melilla entre migrants et Marocains. Il faut casser la peur à l’égard des migrants ».
Un travail de longue haleine.
Clémence Roux de Luze
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