Groupe de femmes participant aux manifestations de la marche du retour à Gaza, mai 2018, ©Virginie Nguyen Hoang/Hanslucas/Huma

Groupe de femmes participant aux manifestations de la marche du retour à Gaza, mai 2018, ©Virginie Nguyen Hoang/Hanslucas/Huma

Gaza : « Nous voulons juste essayer de nous construire une vie » (témoignage)

Publié le 06.06.2018| Mis à jour le 02.01.2022

Nous avons recueilli le témoignage de Majeda Al-Saqqa, à Gaza. Elle explique comment elle a vécu les manifestations pacifiques de ces dernières semaines et la violence aveugle de la répression israélienne. Majeda est la directrice de l’association Culture et Pensée Libre, soutenue par le CCFD-Terre Solidaire.


“Ce qui se passe actuellement est très important et très beau. C’est un mouvement non-violent qui montre un grand sens commun, une conscience collective interne. J’y participe, ainsi que des membres de l’association mais à titre personnel. Il n’y a pas d’appel de notre association à prendre part au mouvement, les Gazaouis y participent de manière spontanée.

Les gens manifestent plutôt en fin de journée, quand il fait moins chaud. Les personnes viennent le soir pour pique-niquer, improviser un barbecue, participer à des activités culturelles et artistiques spontanées : de la musique, de la dance, de la peinture, des cours d’anglais… Des étudiants proposent des cours de toute sorte.

La mobilisation est plus grande et plus longue que si on en passait par la violence.

Cette forme de mobilisation plaît aux jeunes générations qui n’ont pas connu la première intifada et découvrent la protestation non-violente. On observe la même solidarité, la même idée du collectif.

Les femmes sont très nombreuses à prendre part aux événements

Je dirais que la moitié des manifestants sont des femmes. Il faut bien comprendre que la situation au quotidien dans la bande de Gaza est très dure et engendre beaucoup de frustration chez les femmes.

Tout le monde veut un changement, qu’il soit social, culturel, politique.

Celles qui se sont investies les premières dans le mouvement ont encouragé les autres. Elles ont expliqué qu’elles avaient été bien acceptées, n’avaient souffert d’aucun harcèlement. Au contraire, les manifestants cherchaient plutôt à les protéger.

Groupe de femmes participant aux manifestations de la marche du retour à Gaza, mai 2018, ©Virginie Nguyen Hoang/Hanslucas/Huma
Groupe de femmes participant aux manifestations de la marche du retour à Gaza, mai 2018, ©Virginie Nguyen Hoang/Hanslucas/Huma

La violence de la répression israélienne

Les grandes manifestations ont lieu le vendredi. Certaines personnes sont plus agressives, notamment les plus jeunes, qui ont beaucoup de colère en eux. Mais leur agressivité est aussi canalisée par les autres. C’est pourquoi les activités socio-culturelles sont importantes, pour exprimer différemment cette colère. Le problème, c’est que malgré la non-violence, c’est très dangereux de participer aux grandes manifestations. Le vendredi, je manifeste en famille mais sans les jeunes enfants car nous avons trop peur pour eux. De très nombreuses personnes sont tuées, des milliers de personnes ont été blessées.

Lundi, j’étais aux manifestations avec mon neveu qui est infirmier. C’était vraiment effrayant. L’armée israélienne utilise des armes dangereuses et souvent nous ne comprenons pas d’où viennent les tirs pour nous protéger. Des drones survolent les manifestations, et l’armée semble utiliser un nouveau type d’arme à feu. On entend un bruit bizarre, et subitement vous voyez des gens autour de vous à terre.

Il semble qu’une seule balle arrive à blesser jusqu’à 4 personnes. Je ne sais pas ce que c’est.

Une prise en charge difficile des blessés

Ensuite c’est très difficile d’évacuer les blessés car même les tentes des secours sont gazées. Les hôpitaux n’arrivent pas à faire face au nombre de blessés des manifestations. Il y en a vraiment beaucoup.

Chaque Gazaoui connaît au moins une personne qui est revenue blessée d’une manifestation.

Il faut garder à l’esprit qu’au moment où le mouvement a commencé, le système de santé de la bande de Gaza était déjà effondré. Les hôpitaux sont surchargés et manquent de tout, que ce soit de places et de médicaments. Les blessés considérés comme assez légers sont renvoyés chez eux et doivent se fournir eux-mêmes en médicaments. Or, les médicaments sont introuvables ou trop chers. On voit des personnes qui retournent quelques jours plus tard à l’hôpital avec une blessure qui s’est nettement aggravée…

Le droit au retour, un rêve qui n’efface pas les besoins quotidiens

Concernant la revendication du droit au retour, c’est une motivation très importante mais elle a aussi pour nous quelque chose qui tient du rêve, quelque chose de romantique. Elle est dans nos cœurs à tous. Mais en même temps, nous avons chacun des millions d’autres combats pour améliorer la vie quotidienne à Gaza. Le droit au retour constitue un cadre général à notre lutte sans qu’il y ait un réel espoir immédiat à ce sujet. En revanche, il y a de nombreuses revendications plus immédiates : accès aux soins, libre circulation, éducation, alimentation, fin du blocus

Les Palestiniens veulent juste essayer de se construire une vie.

Concernant le Hamas et son rôle dans la mobilisation, je lui reconnais les qualificatifs de parti radical, extrémiste. Mais sur le sujet des protestations actuelles, le Hamas a pris la décision de respecter la stratégie de non-violence de la foule. Ils pourraient, s’ils le décidaient utiliser les armes pendant les manifestations. Ils ne l’ont pas fait. Tout le monde focalise sur le Hamas, et pendant ce temps, les Israéliens choisissent délibérément la violence et tirent à balles réelles sur une foule désarmée.

C’est très frustrant et décevant de ne pas avoir le soutien de la communauté internationale. Les Gazaouis se sentent seuls et abandonnés de tous, y compris de pays qui se présentaient auparavant comme leurs alliés, tels que la France.

Le monde doit comprendre que les problèmes à Gaza, à Jérusalem ou en Cisjordanie ne sont pas seulement les problèmes des Palestiniens.”

Abandonner les droits humains ici, c’est tôt ou tard les abandonner aussi chez vous.

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