En Amérique latine, l’agroécologie est une lutte politique
En Amérique latine, se développe une approche politique de l’agroécologie. Au-delà de la seule question de l’agriculture, elle prend en compte des enjeux cruciaux tels que le travail décent, l’égalité femmes hommes ou encore la lutte pour la démocratie…
Texte de Florence Poznanski et photos de Lucas Bois publiés sur le site de l’Articulation nationale d’agroécologie (ANA) au Brésil :
En Amérique latine, l’agroécologie est une lutte profondément politique
L’agroécologie promeut un nouveau modèle de développement. Elle s’appuie sur des pratiques agricoles et d’utilisation du sol dans une perspective écologique et de bien commun. Elle est centrée sur des savoirs et cultures traditionnels et populaires.
Au Brésil, le Collectif national d’agroecologie (l’ANA[[Collectif rassemblant des mouvements, réseaux et organisations de la société civile engagés dans la promotion de l’agroécologie]]) réunit plusieurs centaines d’organisations d’agriculteurs, de femmes, d’artistes et de militants depuis plus de quinze ans. Tous les quatre ans, elle organise la Rencontre nationale d’agroécologie (la RNA) dans le but de renforcer ce réseau et de partager les savoir-faire. Sa quatrième édition s’est tenue entre les 31 mai et 3 juin 2018 dans la ville de Belo Horizonte (sud-est du pays) avec pour thème : le lien entre la ville et la campagne pour la production d’une alimentation plus saine. Parmi les 2000 participants provenant des différentes régions du pays, se trouvaient une cinquantaine de personnes de 14 pays.
Les réseaux internationaux de l’agroécologie
Le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre Solidaire) faisait partie des participants qui ont fait le voyage. L’organisation française défend le droit à la terre sur tous les continents depuis plus de 50 ans. Sa présence se doit au partenariat de soutien institutionnel qui a été signé avec l’ANA en 2016, dans le cadre d’un programme mondial sur la transition écologique et la valorisation des savoirs des communautés traditionnelles. En Amérique latine, outre le Brésil, le CCFD-Terre accompagne des organisations dans 10 pays comme le Mexique, le Pérou, l’Equateur, Haïti.
Martin Willaume en charge des projets du CCFD-Terre Solidaire dans la région andine explique :
« L’expérience latino-américaine nous intéresse beaucoup parce qu’elle développe une approche politique de l’agroécologie qui va bien au-delà de la seule question de l’agriculture. En plus du débat sur la production d’aliments biologiques et la protection du sol, le mouvement parvient à relier d’autres axes centraux tels que le travail décent, l’égalité de genre ou la lutte pour la démocratie. »
Puis, il ajoute :
« Cette approche n’existe pas dans d’autres régions du monde, par exemple en Afrique où le mouvement travaille selon une ligne principalement technique. Nous cherchons à comprendre comment se construit cette articulation pour partager ensuite l’expérience là-bas ».
Il fait état de plusieurs expériences agroécologiques sur le continent qui s’entrecroisent avec d’autres agendas politiques :
- En Bolivie, par exemple, l’agroécologie est devenue un axe central dans le processus de construction de l’autonomie locale des peuples autochtones, conformément à la législation de l’État plurinational.
- Au Pérou, les mouvements construisent l’agroécologie comme un moyen de lutte contre l’exploitation minière, et
- En Colombie, le mouvement agroécologique associe les enjeux du processus de paix dans sa lutte.
Pour affronter les empires de l’agro-business, il faut une union internationale
Paulo Peterson, membre du comité exécutif de l’ANA, explique en quoi ces alliances internationales sont importantes, surtout dans le contexte que connaît le Brésil actuellement :
« La nature même de l’agroécologie est transversale. Si l’on prend les 17 objectifs de développement durable, adoptés par les Nations unies, on se rend compte que l’agroécologie en couvre la majorité : le climat, l’eau, la lutte pour l’égalité des genres, contre la pauvreté, contre la faim, pour le travail décent, etc.»
En complétant la réflexion de Martin Willaume sur la dimension politique de l’agroécologie, il souligne que :
«Il n’est pas possible de penser l’agroécologie sans penser la défense de la démocratie. Nous parlons de processus qui ne correspondent pas à une logique de marché. L’agroécologie est liée au bien commun. C’est un défi global car les entreprises que nous combattons sont des empires mondiaux. La réponse consiste en plus d’autonomie, plus de souveraineté pour se rapprocher de la nature et créer de nouvelles relations sociales. »
Il explique que plusieurs organisations latino-américaines ont contacté le Collectif national d’agroécologie (ANA) pour participer à la Rencontre nationale d’agroécologie. Il souligne également que ces échanges de connaissances sont importants pour permettre au mouvement de continuer à innover et s’enrichir de nouvelles idées.
Lire notre article : Au Brésil, des agriculteurs familiaux résistent depuis 50 ans à un agro-business destructeur
Le Brésil a une force d’articulation pionnière sur le continent
Parmi les représentants latino-américains, se trouvait la Colombienne Patrícia Candela Orozco. Elle s’est rendue au Brésil pour connaître l’expérience de la RNA. Elle y représente l’Instituto Mayor Campesino (Imca), situé dans la région du Valle del Cauca, près de Cali. Une organisation qui travaille depuis 57 ans avec les communautés paysannes et s’implique pour la promotion de la citoyenneté et de l’économie solidaire.
Pour elle, le Brésil est pionnier au niveau de l’agenda de l’agroécologie en Amérique latine. Elle remarque que les organisations du pays ont su construire une convergence des forces. Cela donne corps au mouvement et leur permet d’organiser un événement aussi important. Elle dit avoir aussi été très impressionnée par la méthodologie appelée «mystique» qui utilise les chants populaires, le théâtre et la poésie pour introduire ou contextualiser les échanges lors des réunions. Ainsi, cela permet davantage d’interactions avec les participants.
Patrícia Candela Orozco explique :
« Quand on arrive à atteindre le côté émotionnel des gens on donne un pouvoir beaucoup plus fort à nos messages, on ne reste pas que dans le rationnel. Si chacun ressent la nécessité de cette lutte depuis son fort l’intérieur, il peut transmettre ce message plus facilement au reste de la population. »
La taille du réseau impliqué dans l’organisation de la RNA est un autre point qui a attiré son attention. En Colombie, l’Imca a participé à la construction de la première rencontre nationale d’agriculteurs qui a eu lieu en 2017 à l’initiative de diverses organisations de la société civile. Patrícia décrit le défi qu’une telle initiative représente et affirme être très enthousiaste en découvrant de nouvelles perspectives d’action présentées par l’expérience brésilienne.
Après quatre jours d’ateliers, de séminaires et d’échanges, l’ANA a adopté une déclaration politique indiquant les principaux axes de lute du mouvement pour les prochaines années. La déclaration dénonce les violences du latifundium et du modèle de développement prédateur. Ce modèle asservit les peuples à l’extraction des matières premières appauvrissant la terre et ceux qui en vivent. Elle réaffirme aussi sa conviction que l’agroécologie représente une alternative tangible et réelle à ce modèle capitaliste, centrée sur la vie, la nature et la dignité humaine.
Pour en savoir plus :
Notre diaporama Au Pérou : Manger sain et à sa faim grâce à l’agriculture urbaine
Notre article : A Haïti : 6 stratégies pour s’adapter au changement climatique
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