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Comment promouvoir le vivre ensemble au Tchad, en Centrafrique, et au Nord-Cameroun ?

Publié le 26.04.2021| Mis à jour le 02.01.2022

Depuis 2013 plus de 150 projets ont été lancés dans le cadre de notre Programme paix et vivre ensemble au Tchad, en Centrafrique et au Nord-Cameroun. Dans ces régions en proie à de nombreux conflits, l’expérience des acteurs de terrain que nous soutenons montre qu’il est possible d’agir pour la paix et le vivre ensemble. Retour d’expérience.


Bruno Angsthelm est chargé de mission Tchad et RCA au service Afrique du CCFD-Terre Solidaire. Avec Abderamane Ali Gossoumian, coordinateur national du Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation au Tchad, ils nous racontent ce travail de longue haleine pour tisser les conditions de la paix et du vivre ensemble.


Lire aussi : Lettre ouverte au Président de la République pour l’appeler à condamner le coup de force militaire au Tchad

Le sentiment de rapports de domination au cœur des tensions

Le sentiment d’un «  rapport de domination » est au cœur des tensions sur le vivre-ensemble au Tchad, mais également dans les pays de la sous-région, au Soudan, au Sud-Soudan, en Centrafrique, au Cameroun, et autour du lac Tchad.

Il prend des formes, religieuses, ethniques, de genre, mais aussi politiques.

Ce sentiment produit des tensions entre les agriculteurs et éleveurs, au sein des communautés, des jeunes, mais aussi des rébellions comme en Centrafrique (2013-2015). C’est dans ce contexte que le CCFD-Terre Solidaire a lancé en 2012 le Programme paix et vivre ensemble.

Au Tchad, le contentieux chrétiens-sudistes/musulmans-nordistes, issu de l’histoire et de la géographie – même s’il est aujourd’hui largement atténué – continue de traverser la société tchadienne autour, notamment, de la notion de laïcité – et donc de la place des religions dans la société, ou de la langue, avec une communauté arabophone et une francophone.

Un exemple du sentiment de domination : les relations entre chrétiens et musulmans

Une bonne partie des chrétiens a le sentiment d’être dominée et marginalisée par les musulmans.

En 2016, Fortunat Alatarat, le coordinateur de Grave, association partenaire du CCFD-Terre Solidaire au Tchad, a organisé une rencontre de jeunes leaders associatifs catholiques, protestants et musulmans pour parler des préjugés qu’ils avaient les uns sur les autres.

Les jeunes chrétiens ont décrit les musulmans comme des terroristes, des meurtriers et des voleurs qui considéraient les chrétiens comme leurs esclaves.

Les jeunes musulmans ont présenté les chrétiens comme des alcooliques, des ignorants et des sorciers.
Pour eux, la religion chrétienne n’est pas une religion.

Ces regards très méprisants témoignent des préjugés encore profondément ancrés dans une grande partie de la population.

3 causes des conflits dans la région

Dès 2002, le CCFD-Terre Solidaire a considéré les tensions intercommunautaires comme la cause profonde du mal-développement au Tchad.

En 2011, une étude menée avec les partenaires a montré que, dans toute la sous-région, ces conflits étaient dus à trois facteurs :

  • la mauvaise gestion et la concurrence autour des ressources naturelles,
  • les problèmes identitaires
  • une gouvernance politique défaillante.

Agir sur ces 3 causes 

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Des jeunes de l’association Ambassadeurs de paix, s’engagent contre les violences scolaires, qui touchent autant les professeurs que les élèves. Fatimé, médiatrice de paix, sensibilise ses camarades. Photo Roberta VALERIO/CCFD-Terre Solidaire

L’identification de ces trois causes nous a conduit à élaborer notre stratégie sur ces trois dimensions déclinées à travers le Programme paix et vivre ensemble.

Il vise à favoriser des communautés plus résilientes, une meilleure cohésion sociale et des sociétés plus tolérantes, avec moins de préjugés.

En ce qui concerne les conflits identitaires, religieux, communautaires, il cherche à construire une société fraternelle, inclusive pour la jeunesse et pour les femmes.

Au niveau politique, le programme prône une plus forte transparence dans la gestion des ressources publiques.

Il soutient des initiatives citoyennes, des contre-pouvoirs, ainsi que des projets liés à l’amélioration du dialogue politique pour une meilleure gouvernance tant économique que politique.

Une délégation centrafricaine à New York pour demander une force d’interposition

Dès 2013, alors que le pays bascule dans les violences intercommunautaires, le Programme paix organise le voyage à New York d’une délégation centrafricaine composé d’un évêque, d’un pasteur, d’une députée indépendante et d’un militant des droits de l’homme.
La délégation réussira à convaincre le Conseil de sécurité des Nations unies (le Rwanda était au départ très réticent) d’autoriser l’intervention en urgence d’une force d’interposition française.

En 2014, en pleine crise, le programme finance la tenue d’un grand forum national de la société civile de réconciliation et soutient deux plateformes civiques :
– le GTSC-Groupe de travail de la société civile, qui est son porte-voix face au gouvernement
– le ROSCA GD-réseau des organisations de la société civile pour la bonne gouvernance, qui réunit des personnalités du monde universitaire, associatif et politique qui veulent développer les connaissances et la culture du débat et du dialogue.

En Centrafrique, des projets de relance de l’agriculture et de médiation

En Centrafrique, ce programme a permis à trois partenaires de développer une approche originale dans le nord et l’ouest du pays.

Le GDAP (Groupement pour le développement agropastoral) et le diocèse de Bossangoa ont mené des projets de relance de l’agriculture, principale activité économique des populations. Puis, après des mois de pourparlers sous l’égide des partenaires, les groupes armés locaux ont négocié et signé des accords de paix, provoquant ainsi le retour de milliers de déplacés.

La PIJCA (Plateforme interconfessionnelle de la jeunesse centrafricaine) a également œuvré à la réconciliation.
Notamment à Boda, une petite ville, qui a vécu des affrontements très durs entre milices chrétiennes anti-balakas et groupes d’autodéfense musulmans, au point que les communautés vivaient complètement séparées et dans la peur.
Les jeunes ont d’abord sensibilisé les combattants à la paix et au vivre-ensemble.
Les ennemis d’hier se retrouvent aujourd’hui dans une même association.
Et lors du dernier conflit, les rebelles n’ont pas réussi à recruter le moindre combattant à Boda.

L’association a aussi formé dans tous les villages avoisinants des groupes PIJCA et des médiatrices sociales qui, à leur tour, ont travaillé à la réconciliation et à la solidarité au quotidien envers les plus pauvres, veuves et orphelins…

La PIJCA aide les associations locales à mener des petits projets, elle appuie la construction de la maison des jeunes et contribue à la restauration des bureaux de la mairie…

Grâce au travail de ces jeunes, c’est toute une région qui s’est transformée. Le programme a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs comme la PIJCA, qui est désormais l’une des principales plateformes de la jeunesse centrafricaine.

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Reportage l’association PIJCA. Dans le stade de foot de Bangui deux équipes de la capitale s’affrontent. Photo Michael ZUMSTEIN/CCFD-Terre Solidaire

Agir avec les communautés nomades

Parmi ces nouveaux acteurs, la plateforme sous-régionale Kawtal mène également au niveau régional des actions décisives pour faire baisser les tensions intercommunautaires.

Elle mobilise et défend une quinzaine de communautés transhumantes, essentiellement peules, en Centrafrique, au Tchad et au Cameroun.

La plateforme les aide à faire valoir leurs droits et leur culture et s’impliquent dans les processus de développement et les instances de prise des décisions.

Cela a permis à ces communautés marginalisées et aussi aux jeunes, qui avaient peu voix au chapitre, de construire les conditions de leur participation collective à la vie de leurs territoires, d’élaborer une parole collective et de se faire davantage entendre.

Construire le dialogue interreligieux au Tchad

Autre résultat, la construction d’alliances qui permettent d’appréhender une problématique à travers des acteurs très différents : associatifs, chercheurs, religieux, jeunes…

L’exemple le plus frappant est celui du dialogue interreligieux au Tchad autour de Grave avec la plateforme regroupant l’Église catholique, le Conseil supérieur des affaires islamiques, le centre de dialogue interculturel El Mouna, l’université islamique, l’association pour l’Enseignement coranique et la protection des enfants (AECPEM), des chercheurs.

À partir de 2016, notre partenaire a mis en place plusieurs projets qui participent à la lutte contre les préjugés interreligieux.

En premier lieu, une formation pour apprendre la langue de l’autre au sein d’une plateforme interreligieuse : des imams y ont appris le français, et des chrétiens l’arabe.

Un enjeu important pour ces leaders religieux investis dans ce chemin de dialogue et de réconciliation.

La réforme des écoles coraniques, avec un cycle modernisé de formation des maîtres coraniques à l’aide d’un nouveau dispositif pédagogique validé par les instances islamiques.
Et enfin, un projet qui vise à permettre à l’université islamique de s’ouvrir sur des sujets de société : comme les droits humains, les violences faites aux femmes, à travers des conférences et des groupes de travail.

Elaborer des règles communes autour de la gestion des ressources naturelles

Au Sahel, des communautés sahéliennes ont été appuyées jusqu’en 2012 par ACORD-Tchad afin de s’engager pour le développement de leurs territoires. Elles ont bénéficié de plusieurs projets cofinancés par le CCFD-Terre Solidaire, en matière d’équipements agricoles, de formations, de magasins de stockage, etc.

Elles ont aussi appris à élaborer des règles communes d’usage des ressources naturelles. À partir de 2015, réunies au sein de trois plateformes rurales, elles ont, avec l’appui du Programme paix et vivre ensemble, instauré des projets, sur le développement de l’agroécologie, la justice …

Au Tchad, se mobiliser contre les violences faites aux femmes

La plateforme rurale de Dababa s’est, quant à elle, mobilisée pour mettre fin aux violences envers les femmes. Plus de 60 agents de changement ont ainsi été formés et mobilisés pour agir dans les villages.

Grâce à ces hommes, ces femmes, ces enseignants, ces jeunes, ces religieux, ces leaders paysans et ces anciennes exciseuses, la plateforme a pu sensibiliser les communautés dans les marchés, ou en animant des discussions entre jeunes. En quelques années, elle a observé une diminution de 40 % des mariages forcés et des mutilations génitales.

Les relations dans les foyers changent, les hommes n’ont plus le monopole des décisions, le dialogue prévaut.

Les jeunes de la région ont également décidé de se mobiliser pour lutter contre le statut inférieur réservé aux femmes et contre les violences qui leur sont infligées.
Devenues de véritables actrices de développement, ces plateformes rassemblent désormais plusieurs centaines de milliers d’habitants dans plus de 1 500 villages.

Avec la mise en réseau, favoriser une culture du débat

Plus largement, grâce au travail du Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation (CSAPR), ce programme a favorisé la création d’un réseau solidaire d’organisations camerounaises, tchadiennes et centrafricaines qui se retrouvent régulièrement pour échanger sur leurs défis et porter des projets en commun.

Ce large écosystème partenarial a permis d’instaurer une culture du débat, de l’esprit critique et de production de connaissances qui sont déterminants pour comprendre les enjeux et faire évoluer les mentalités. Tous ces acteurs partagent un engagement commun vers une société plus solidaire, en paix et fraternelle.

Notre vision a été confortée par la récente encyclique du pape François Fratelli Tutti qui nous invite tous à semer la paix, à dépasser nos différences et à nous ouvrir aux autres sur le chemin de la fraternité universelle.

Bruno Angsthelm, chargé de mission, Tchad, RCA, Togo et Bénin
Et Abderamane Ali Gossoumian, coordinateur national CSAPR

3 rapports pour mieux comprendre les conflits au Tchad

Après la mort du président tchadien Idris Deby, voici un récapitulatif des rapports publiés ces dernières années en partenariat avec la société civile tchadienne pour mieux comprendre la situation de ce pays :

– Consulter le rapport « Petites et grandes controverses de la politique française au Tchad », mai 2015
-Consulter le rapport « Les partis politiques tchadiens, quelle démocratie pour quelle paix? », novembre 2014
– Consulter le Rapport « Le développement piégé : les transferts d’armes et le
développement au Tchad (2005-2010) »,
Janvier 2012

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