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Du Mali au Pays basque : l’implication des sociétés civiles vitale pour la paix

Publié le 06.10.2016| Mis à jour le 08.12.2021

A l’été 2016, et à l’initiative de la délégation de bénévoles du CCFD-Terre Solidaire de la région, deux partenaires maliens ont rencontré à Bayonne, des acteurs du Pays basque, tous engagés pour la paix sur leur territoire.


« Nous souhaitions aller plus loin dans notre travail de réflexion sur la paix », explique Jean-Pierre Grossier, président de la délégation Pays basque du CCFD-Terre Solidaire, en introduction de la rencontre sur la paix en juillet 2016.

Leur travail a commencé en novembre 2015. Constitués en groupes de quatre pour se répartir des axes de réflexion, les bénévoles ont envisagé la paix sous différents aspects : psychologique, politique, spirituel et associatif. « Au CCFD-Terre Solidaire, la question de la paix est un axe de travail prioritaire », rappelle Florian De Jacquelot, chargé de mission de la région Sahel en Afrique.

Aussi marqués par le processus de paix sur leur territoire, les bénévoles ont voulu partager leur réflexion avec des partenaires d’autres pays. Et malgré la distance qui les sépare, le Mali et le Pays basque partagent des spécificités : d’abord géographiques – deux territoires transfrontaliers – mais aussi pluri-linguistiques et socio-culturelles, avec des traditions propres.

A l’origine, un conflit

Ce qui rapproche également les deux territoires, c’est le contexte d’un conflit. Au Mali, la guerre actuelle est née des suites d’une rébellion touarègue dans le nord contre l’armée malienne. A cela s’est ajoutée un nouvelle composante : le terrorisme djihadiste [[Avec l’apparition du groupe armé djihadiste Ansar Dine, rejoint par AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest).]]. « Depuis 2012, le conflit s’est élargi au reste du territoire jusqu’à Bamako, la capitale. Ce qui a provoqué une forte segmentation de la société malienne », explique Assinamar Ag Rousmane, coordinateur de programme de l’Association Azhar [[Azhar signifie “liens de famille” en tamasheq, la langue touarègue.]], partenaire du CCFD-Terre Solidaire.

« Nous avons toujours connu des tensions intercommunautaires et des rebellions armées. Mais le conflit de 2012 est sans précédent car il a engendré une crise politique, humanitaire et sécuritaire », précise Nana Alassane Toure, chargée de programme au sein de l’Association de Coopération et de Recherche pour le Développement (Acord), aussi soutenue par le CCFD-Terre Solidaire. « Avant l’intervention française, puis onusienne [[En janvier 2013, pour arrêter la progression des djihadistes vers le sud du pays, le président malien demande à la France d’intervenir militairement dans le cadre d’une opération internationale. Cette intervention militaire sera suivie d’une opération de sécurisation du pays par les casques bleus de l’ONU, avec l’armée malienne et des forces spéciales notamment françaises.]], de nombreuses violences ont été commises. Beaucoup de personnes ont perdu la vie. Et c’est toujours le cas. Pourquoi ? Parce que les djihadistes, même moins visibles, sont toujours présents. Ils ont simplement changé de modes opératoires, procédant par des attaques visées contre des militaires, mais aussi des commerçants et des marchands ambulants », déplore-t-elle.

Cette crise a un fort impact sur la société malienne : elle compte de nombreux déplacés internes et réfugiés dans les pays voisins – au Niger, en Mauritanie, au Burkina Faso. Ces problèmes renforcent des difficultés préexistantes, comme l’absence de services sociaux de base dans certaines régions, et un taux de chômage élevé.

Beaucoup plus au Nord et partagé entre deux États – l’Espagne et la France – le Pays basque connaît lui aussi un conflit depuis des décennies. « Ce dont on a souffert au Pays basque nord (côté français), c’est la négation du conflit. L’Etat français a d’ailleurs fait le nécessaire pour nier son existence pendant des décennies. L’humiliation est moindre aujourd’hui mais le mal n’est toujours pas traité : le fait de ne pas être complètement reconnu dans notre unité individuelle et collective en tant que basque », explique Gabriel Mouesca, permanent de l’association Harrera – « Accueil » en basque – structure d’aide à la réinsertion des prisonniers politiques et des exilés dans le cadre du processus de paix. Il est aussi ancien militant de l’organisation politico-militaire séparatiste Iparretarrak – « Ceux de l’ETA du Nord ».

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« La paix ne se joue pas uniquement entre les Etats et les groupes armés »

Le 17 octobre 2011, la Déclaration internationale d’Aiete à Saint-Sébastien en Espagne fait entrer le Pays basque dans un nouveau processus de paix, avec pour la première fois une implication significative de la communauté internationale [[Des personnalités politiques internationales, dont l’ancien secrétaire général de l’ONU et prix Nobel de la paix en 2001, Kofi Annan, appellent à la paix au Pays basque. Deux jours plus tard, l’ETA annoncera publiquement l’abandon de la lutte armée.]]. Cinq ans plus tard, malgré l’immobilisme des États français et espagnol, le processus avance, grâce au dynamisme de la société civile : « Beaucoup pensent que si les Etats refusent d’entrer dans le processus, la paix n’est pas possible. Nous, on pense le contraire. La paix ne se joue pas uniquement entre un groupe armé et, dans notre cas, deux Etats. Elle se joue au quotidien, avec les acteurs du territoire », déclare Anaiz Funosas, présidente du mouvement civil Bake Bidea – « Le chemin de la paix » – créé au lendemain d’Aiete.

Le mouvement se félicite d’ailleurs d’avoir participé à l’instauration d’un dialogue entre certains acteurs du territoire dont les intérêts ne convergent pas toujours : élus locaux, patronat, syndicalistes, militants… « La réussite de ce processus passe aussi par l’échange, l’écoute et la reconnaissance de l’autre », précise la présidente. Ensemble, ils ont réussi à s’accorder sur la réponse que devrait apporter le processus entre les Etats basques, et sur ses conséquences : désarmement de l’ETA [[Euskadi Ta Askatasuna en basque pour « Pays basque et liberté » : organisation armée indépendantiste créée en 1959]], réparation aux victimes, réintégration des prisonniers et des réfugiés…

Au Mali, pour répondre aux violences, les partenaires expliquent que l’Etat a lancé un processus de justice transitionnelle [[La justice transitionnelle relève de quatre piliers : le droit de savoir, le droit à la justice, le droit à la réparation et le droit aux garanties de non-répétition.]] qui a conduit en avril 2015, à un accord de paix entre le gouvernement et la majorité des groupes armés [[L’accord de paix sera également signé par plusieurs Etats et organisations comme l’ONU au nom de la médiation internationale.]]. De ce processus a découlé la création de la Commission « Vérité, justice et réconciliation» dont les membres ont été nommés par décret présidentiel. Celle-ci a pour mission d’enquêter sur les violations des droits humains entre 1960 et 2013 : « Mais quid des victimes au-delà de cette période alors que l’on sait que la crise se poursuit ? », questionne Nana Alassane Toure. Tout comme le décret d’indemnisation des victimes, très critiqué par la société malienne, car il ne concernerait que les victimes militaires. « Il y a aussi de nombreuses victimes civiles », souligne-t-elle.

« La paix ne se décrète pas, elle se construit »

L’un des principaux freins au processus de paix pour les deux partenaires maliens ? Il n’est pas assez « inclusif ». « Tous les acteurs sont importants. Il n’y a pas de ligne rouge pour nous. Le travail de la société civile est fondamental pour permettre à tous un même niveau d’information et apaiser les tensions », explique la chargée de programme d’Acord. « La paix ne se décrète pas, elle se construit, étape par étape, et à l’échelle micro que ce soit auprès des communautés, du village, des factions », ajoute Assinamar Rg Rousmane d’Azhar.

Pour les partenaires, il faut miser sur la jeunesse : « Les jeunes sont l’avenir mais aussi le présent. Ce sont des acteurs du changement dont on a besoin aujourd’hui et demain. Il faut les faire participer au processus de paix de manière quantitative et qualitative », affirme Nana Alassane Toure. Par exemple, dans la région de Kidal qui compte 73 000 habitants pour une superficie de 260 000 km2, Azhar travaille à la mise en place d’une stratégie de scolarisation accélérée pour offrir un rattrapage scolaire aux jeunes dont la moitié s’est retrouvée déscolarisée au début de la crise. Sans occupation, ils ont plus facilement intégré les groupes armés. « Nous avons obtenu des garanties du ministère (de l’éducation nationale) pour que ces enfants soient acceptés dans les classes supérieures en 2017 », se réjouit le coordinateur de programme de l’association.

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« Notre principe : obtenir la vérité. Pour que les victimes puissent se reconstruire », enchaîne Anaiz Funosas de Bake Bidea. Le problème ? Il n’y a aucune victime dans l’espace de dialogue constitué. La présidente reconnaît que sans la voix des victimes, il est difficile d’avancer vers la paix à travers le mécanisme de justice transitionnelle. « Il faut continuer à essayer d’identifier les victimes pour savoir comment doit répondre le processus. Et surtout, ne pas se résigner car le moindre espace de dialogue est un espace de plus pour ce processus. »

Ne pas renoncer, c’est aussi « travailler la mise en oeuvre de la paix au quotidien, et au-delà de la question basque » pour Peio Ospital du collectif Atxik Berrituz – « Tenir en se renouvelant » – créé au premier anniversaire d’Aiete, en novembre 2012. « Et cela nous appartient à tous. »

Car « tôt ou tard, les Etats se mettront à discuter sur le vivre ensemble de demain », ajoute Gabriel Mouesca. Pour lui, la question de paix ira même au-delà de la question politique. « La dynamique lancée à partir d’Aiete va irradier l’intégralité de la société et aller jusqu’au fin fond de l’organisation sociale du Pays basque. »

A la fin de la rencontre, Nana Alassane Toure se souvient : « Dans le train pour venir ici, je me suis dit que la seule chose que je connaissais de ce territoire, c’était qu’il est frontalier avec l’Espagne. » Deux jours plus tard, après de nombreux échanges, l’organisation de cette rencontre apparaît comme une évidence : « cela nous montre l’universalité de notre engagement en faveur de la paix », souligne Peio Ospital. Une rencontre qui donne aussi de quoi alimenter les prochains travaux des bénévoles de la région : « Cette thématique va continuer à être au centre de nos réflexions », conclut ainsi le président Jean-Pierre Grossier.

Marion Chastain

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