En Algérie, les familles de disparus veulent la vérité

Publié le 30.09.2015| Mis à jour le 08.12.2021

Les cicatrices de la « Décennie noire » en Algérie peinent à se refermer. Le mystère entoure toujours le sort de quelque dix mille personnes disparues, enlevées par des agents de l’Etat dans les années 1990. Leur famille bénéficie du soutien de l’association SOS-Disparus, antenne algérienne du Collectif des familles de disparus en Algérie, basé en France et appuyé par le CCFD-Terre Solidaire


Lors des législatives de décembre 1991, le Front islamique du Salut, un parti islamiste radical, était sur le point de remporter la majorité des sièges.
L’annulation du processus électoral par l’Etat avait été le point de départ d’ un terrible cycle de violence politique. Des groupes armés islamistes se formaient pour affronter l’Etat et s’imposaient souvent par la terreur aux populations des zones où ils agissaient.
De leur côté, les forces de l’ordre réagissaient avec férocité, multipliant les exécutions extra-judiciaires, les arrestations arbitraires et la torture.
Sur la base du moindre soupçon ou d’un renseignement, des milliers de personnes ont été arrêtées en dehors de toute procédure légale et n’ont jamais revu le jour.


Des versions officielles contradictoires

C’est ce qui est arrivé à Mourad Bendjael, frère de Nadia Bendjael, qui milite aujourd’hui au sein de l’association SOS-Disparus.

« Mon frère a été arrêté deux fois, en 1992, puis 1993. Il a été jugé et acquitté. Le 4 mai 1994, il a été embarqué dans une voiture banalisée. Quatre jours plus tard, notre domicile a été perquisitionné par la police. Ils cherchaient des armes mais n’ont rien trouvé.
Mes deux frères ont été arrêtés. L’un des deux, Marouane, est resté détenu. Le 13 juin, il s’est retrouvé torturé en même temps que mon frère, ils étaient menottés ensemble à un radiateur. Marouane a été condamné, puis finalement acquitté avec les excuses des autorités qui ont reconnu s’être trompées. Mais nous n’avons jamais revu mon frère. »

Les autorités vont multiplier les versions contradictoires.

« D’abord, le Procureur m’a affirmé que mon frère avait été abattu alors qu’il tentait de s’échapper lors d’un transfert, le 28 mai 1994. Mais mon frère Marouane l’avait vu après cette date.
Puis en 2010, on nous a montré une tombe sans nom. Cette fois la version était qu’il avait été abattu par les terroristes le 12 août 1994, dans la banlieue d’Alger, et que personne n’était venu réclamer son corps. Ma mère a fini par retrouver l’acte de décès et le fonctionnaire qui l’avait signé. Il était mentionné qu’il était décédé le 7 juin et inhumé le 15 août 1994.
Nous ne savons pas si c’est bien mon frère qui se trouve dans cette tombe. Les demandes d’exhumation ont été refusées. Le Procureur nous a dit qu’il avait des ordres pour clore le dossier. Il nous a proposé une indemnité à condition que nous déclarions le décès. Nous avons refusé.
Finalement, en 2014, j’ai été convoquée à la gendarmerie où l’on m’a dit que mon frère avait été abattu dans le maquis par les forces de l’ordre en 2006. »

Pour la famille de Nadia Bendjael, le mystère reste entier.

« Au cimetière El Alia, à Alger, il y a quatre carrés avec plus de 250 tombes de personnes enterrées sous X. Certaines contiennent probablement plusieurs corps. « Ces tombes là ne vont jamais s’ouvrir », m’a dit un jour en employé. »


Amnésie obligatoire

Pour clore ce chapitre tragique de l’histoire algérienne, une « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » adoptée en 2005 interdit désormais d’évoquer les événements de cette période et punit de prison quiconque utilise « les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions… ou nuire à l’honorabilité des agents de l’Etat ».
Une amnésie obligatoire scelle ainsi ces tombes anonymes et condamne les familles des disparus à une interminable douleur muette.

« C’est un coup de poignard dans le dos ! » s’indigne Nadia Bendjael.

Une situation d’autant plus difficile à accepter pour les familles des disparus que les responsables des disparitions n’ont jamais répondu de leurs exactions.
En outre, grâce aux mécanismes de la Concorde nationale, les islamistes qui avaient pris les armes ont été réintégrés dans la société et ont pignon sur rue, tandis que ceux qui voudraient aujourd’hui connaître le sort de leurs proches arrêtés puis disparus sur la base du soupçon de complicité avec les islamistes, sont, eux, ignorés par les autorités, quand ils ne sont pas réprimés.

Plus de 5000 dossiers

Le travail de l’association SOS-Disparus, créée en 2001 et de son relais international, le Comité des familles de disparus en Algérie (le CFDA), créé en France en 1998, va donc à contre-courant de cet oubli imposé par la loi.

« Notre objectif est l’établissement de la vérité pour le bien des familles avant tout. Nous avons plus de cinq mille dossiers ouverts. Il en arrive encore plusieurs dizaines chaque mois. Nous organisons des formations, à la communication, au droit international, récemment sur les prélèvements ADN… »

Plus généralement, SOS-Disparus est aussi membre de la Fédération euro-méditerranéenne contre les disparitions forcées, appuyée par le CCFD-Terre solidaire FEMED qui regroupe également des organisations marocaine, turque, kosovare, bosniaque, serbe, libanaise, irakienne, syrienne, chypriote…
Elle s’efforce de continuer à faire vivre sur le plan international la question des disparus lors des différentes tragédies qui ont bouleversé l’espace méditerranéen.

Thierry Brésillon
Entretien réalisé à Tunis, lors du FSM de mars 2015.

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