Lettre contre la ratification du CETA

Publié le 02.07.2019| Mis à jour le 07.12.2021

72 organisations, dont le CCFD-Terre Solidaire, adressent une lettre ouverte aux député.e.s français.e.s afin de leur demander solennellement de ne pas ratifier le CETA. Cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada fait peser des risques que nous jugeons injustifiables, sur les plans économique, social, démocratique et écologique.


Paris, le 02 juillet 2019,

Objet : Ratification du CETA

Madame la Députée, Monsieur le Député,

Il est des causes qui rassemblent, bien au-delà de certaines divergences de points de vue : les luttes contre le dérèglement climatique et pour la préservation de la diversité biologique, pour l’emploi, la préservation de la démocratie, la protection de la santé des citoyens et de notre agriculture, en particulier la survie d’un modèle d’élevage familial et herbager, en France, en font partie. C’est pourquoi défenseurs de l’environnement et des droits humains, professionnels des filières d’élevage, associations de consommateurs et syndicats de travailleurs, représentant 72 organisations, s’adressent conjointement à vous aujourd’hui pour vous demander solennellement de ne pas ratifier le CETA.

En effet, les risques du CETA sont largement documentés et doivent être pris d’autant plus au sérieux que le CETA va créer un précédent pour de nombreux autres accords bilatéraux. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme a mis en avant le caractère « climaticide » du CETA [[« Ne sacrifions pas les droits humains aux intérêts commerciaux », 15/12/2016, avis de la CNCDH.]] et, à son tour, la
Commission d’experts mandatée par le Gouvernement [[« L’impact de l’Accord Économique et Commercial Global entre l’Union européenne et le Canada (AECG/CETA) sur l’environnement, le climat et la santé », rapport au Premier ministre, de la commission indépendante présidée par Katheline Schubert, 07/09/2017]] a recensé toute une série des risques sur le plan économique, social, démocratique et écologique.
Les deux Commissions relevaient notamment le risque d’une influence accrue des lobbys dans le processus de décision publique (via notamment le mécanisme de coopération réglementaire) et d’utilisation des tribunaux d’arbitrage entre investisseurs et États pour contester les mesures qui ne leur conviendraient pas.
Elles avaient d’ailleurs formulé plusieurs dizaines de recommandations visant à modifier le contenu de l’accord en vue de prévenir ces risques. Mais l’accord est entré en application provisoire sans qu’aucune modification n’y ait été apportée.

Dans son allocution lors du centenaire de l’Organisation Internationale du Travail, le Président de la République a déclaré « je ne veux plus d’accords commerciaux internationaux qui alimentent le dumping social et environnemental, et en tant que dirigeant européen, je le refuserai partout où je n’aurai pas les garanties sur ce point » [[Allocution du Président Emmanuel Macron au siège de l’OIT à Genève, 11/06/2019.]].

Comment justifier dès lors la ratification d’un accord qui facilite l’entrée sur le marché européen de produits qui ont été élaborés selon des normes inférieures aux standards européens, telle que la viande bovine nourrie aux farines animales et aux antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance ou des denrées alimentaires produites avec des pesticides interdits dans l’UE [[Voir notamment dans le le rapport Schubert : « Il apparaît que rien n’est prévu dans l’accord CETA en ce qui concerne :
– l’alimentation des animaux (utilisation de farines animales et de maïs et soja OGM, résidus de pesticides…)
– l’utilisation des médicaments vétérinaires (notamment des antibiotiques) en élevage,
– le bien-être des animaux (élevage, transport et abattage). » (p42);
« Le CETA laisse la possibilité au Canada d’utiliser des facteurs de croissance contenant des antibiotiques, avec toutefois des contraintes de délais d’attente et d’absence de résidus ». (p43) ; « L’UE ne leur impose pas [aux pays tiers] formellement l’interdiction de l’usage de substances pour lesquelles aucune LMR n’a été définie dans l’UE, les autres restrictions d’usage dans l’UE (LMR et temps d’attente), et l’interdiction de l’usage des antibiotiques comme facteurs de croissance. » (p43) ;
« On ne peut exclure que les imprécisions du CETA conduisent à l’arrivée sur le marché européen de produits autorisés en vertu d’une réglementation ne prenant pas en compte le principe de précaution. » (p22)]]?
Certes, du fait d’un temps nécessaire à l’adaptation des élevages canadiens pour l’exportation vers l’UE (suppression des hormones de croissance dans l’alimentation des bovins), ces importations de viandes bovines n’ont pas encore démarré. Mais le Canada saura, très vite, remplir ce contingent important qu’il a si durement négocié, au détriment d’autres secteurs qu’il jugeait moins « stratégiques » !

Comment accepter par ailleurs un accord qui encourage les investissements européens dans tous les secteurs de l’économie canadienne, y compris les plus nocifs pour le climat, à savoir l’exploitation des sables bitumineux ? Le Canada se félicite par exemple d’avoir accru de 63 % ses exportations de combustibles fossiles vers l’UE pour les douze premiers mois de la mise en application provisoire de l’accord.
Comment accepter aussi que les seuls chapitres du CETA qui ne soient pas contraignants soient ceux qui portent sur l’environnement et les droits des travailleurs ?

En réponse à ces lacunes, le gouvernement a établi un plan d’action [[AECG/CETA : Plan d’Action du Gouvernement, 26/10/2017]] dont la mise en œuvre est jugée sévèrement, y compris par les services du Ministère de la transition écologique [[ Commerce international et Environnement. Vers des accords de 3ème générations ?, Thema, Commissariat général au développement durable, Ministère de la transition écologique et solidaire, Novembre 2018]]. Il s’était engagé par exemple à rouvrir les négociations à propos de la directive sur la qualité des carburants afin de distinguer les carburants en fonction de leur empreinte carbone et discriminer les plus nocifs (notamment le pétrole issu des sables bitumineux canadiens beaucoup plus émetteur de gaz à effet de serre). Or la portée de cette directive avait été précisément affaiblie pendant les négociations du CETA sous la pression du Canada. La Commission a donc refusé, sans surprise, cette proposition française.

Pour finir, si le CETA est presque entièrement en application provisoire, la ratification nationale aura tout de même pour effet de déclencher l’application des tribunaux d’arbitrage qui permettront aux investisseurs privés présents au Canada d’attaquer une décision publique qui leur serait défavorable.
Et tout retour en arrière pourrait s’avérer extrêmement difficile puisque des clauses – dites crépusculaires – prévoient que ces tribunaux pourraient exister encore 20 ans après une éventuelle dénonciation de l’accord (article 30.9.1 du CETA).
Du fait de l’interconnexion des économies nord américaines, 81 % des entreprises étasuniennes présentes en Europe auraient désormais accès au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États du CETA, via leurs filiales au Canada. Cela représente 41 811 entreprises américaines dotées de nouvelles possibilités d’attaquer des lois et réglementations dans les États membres de l’UE [[Tout comprendre au traité UE-CANADA, Avril 2016, AITEC.]].
Ce choix apparaît d’autant plus incompréhensible que les États-Unis et le Canada qui avaient été les premiers pays industrialisés à se doter entre eux d’un mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et États, dans le cadre de l’ALENA, ont justement décidé récemment de l’abandonner. Selon la Ministre canadienne des affaires étrangères : “ Cela a coûté plus de 300 millions de dollars au contribuable canadien en compensations et en frais juridiques. L’arbitrage d’investissement élève le droit des entreprises au dessus de ceux des gouvernements souverains. En l’enlevant, nous avons renforcé la capacité de notre gouvernement de réguler dans le sens de l’intérêt général et de protéger la santé publique et l’environnement”.

L’examen du CETA représente bien plus qu’une simple ratification. Il est en effet le premier, mais aussi le dernier accord de commerce de nouvelle génération, sur lequel vous aurez à vous prononcer dans la mesure où l’UE organise désormais ces traités de façon à pouvoir adopter leur volet commercial uniquement à l’échelon européen. Si vous le ratifiez en l’état, la France se privera d’un puissant levier pourobtenir une réforme de la politique commerciale européenne. Elle pourrait ainsi rester isolée comme au moment de la relance de négociations avec les États-Unis. Enfin, le CETA sert de modèle pour tous les accords qui suivent (Vietnam, Mercosur, Mexique, Nouvelle Zélande, Australie, etc.).

Restant à votre disposition pour toute information complémentaire, nous vous prions d’agréer, Madame la Députée, Monsieur le Député, l’expression de nos sentiments respectueux.

350.org, Clémence Dubois, Responsable France
AC!, Joëlle Moreau, Porte-parole
ActionAid France, Antoine Bouhey, Directeur
Adéquations, Yveline Nicolas, Coordinatrice
Aitec, Hélène Cabioc’h, Porte-parole
Alofa Tuvalu, Gilliane Le Gallic, Présidente
Alternatiba, Rebecca Wangler, Porte-parole
Amis de la Terre France, Khaled Gaiji, Président
ANV-COP21, Pauline Boyer, Porte-parole
Association Léo Lagrange de Défense des consommateurs, Marc Lagae, Président
Association Max Havelaar France, Christophe Roturier, Président
Attac France, Maxime Combes, Porte-parole
AVSF, Frédéric Apollin, Directeur général
Banana Link, Alistair Smith, Coordinateur international
Bio Consom’acteurs, Julie Potier, Directrice générale
Biocoop, Pierrick de Ronne, Président
Bizi!, Txetx Etcheverry, Coordinateur
BLOOM, Sandrine Rosset, Directrice
CADTM, Pascal Franchet, Président
CCFD-Terre Solidaire, Sylvie Bukhari de Pontual, Présidente
CFE-CGC, Christophe Lefèvre, Secrétaire exécutif confédéral en charge de l’Europe et de l’international
CFTC, Geoffroy de Vienne, Conseiller politique du Président confédéral
CGT, Philippe Martinez, Secrétaire général
Collectif Éthique sur l’Étiquette, Guillaume Duval, Président
Collectif Repenser les Filières, Anna Cooper, Coordinatrice
Comité Pauvreté et Politique, Bertrand de Kermel, Président
Commerce Équitable France, Marc Dufumier, Président
Confédération Paysanne, Nicolas Girod, Porte-parole national
CRID, Emmanuel Poilane, Président
Échoppe, André Ernst, Ancien président
Éthique et Investissement, Geoffroy de Vienne, Président
Fédération Artisans du Monde, Agnès Renauldon, membre du bureau collégial
Filière paysanne, Jean-Christophe Robert, Co fondateur
FNB, Bruno Dufayet, Président
FNE, Michel Dubromel, Président
FNH, Alain Grandjean, Président
Fondation Copernic, Willy Pelletier, Coordinateur général
foodwatch France, Karine Jacquemart, Directrice
France Amérique Latine, Fabien Cohen, Secrétaire général
France Libertés-Fondation Danielle Mitterrand, Jérémie Chomette, Directeur
Générations Futures, François Veillerette, Directeur
GERES, Laurence Tommasino, Déléguée générale
Greenpeace France, Jean-François Julliard, Directeur général
Ingénieurs Sans Frontières Agrista, Amélie Dupendant, Présidente
Institut Veblen, Mathilde Dupré, Co directrice
Interbev, Dominique Langlois, Président
Justice Pesticides, Arnaud Apoteker, Délégué général
LDH, Malik Salemkour, Président
Le Mouvement, Elliot Lepers, Directeur
Le Mouvement de la Paix, Roland Nivet, Édith Boulanger, porte-paroles nationaux
Les Jeunes Agriculteurs, Samuel Vandaele, Président
MES – Mouvement pour l’Économie Solidaire, Patricia Coler, Co présidente
Notre affaire à tous, Clotilde Bato, Présidente
RAC – Réseau Action Climat France, Philippe Quirion, Président
React, Manon Laurent, Présidente
REFEDD – RÉseau Français Étudiant pour le Développement Durable, Loïs Mallet, Président
Réseau Foi et Justice Afrique Europe, Jean-Louis Marolleau, Secrétaire Exécutif
Sciences Citoyennes, Kevin Jean, Président
Secours Catholique, Véronique Fayet, Présidente
Sherpa, Sandra Cossart, Directrice
SNESUP – FSU, Anne Roger et Christophe Voilliot, co-secrétaires généraux
Solidaires, Murielle Guilbert, Secrétaire nationale
Sumofus, Nabil Berbour, Responsable de campagnes
Survie, Patrice Garesio, Secrétaire national
Syndicat de la Magistrature, Katia Dubreuil, Présidente
UFC-Que Choisir, Alain Bazot, Président national
UFISC – Union Fédérale d’Intervention des Structures Culturelles, Stéphanie Thomas, Présidente
Unis pour le climat, François Dubreuil
Utopia, David Flacher, Porte-Parole
WECF France, Véronique Moreira, Présidente
WeMove, Alexandre Naulot, Responsable campagne France
WWF France, Isabelle Autissier, Présidente

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