Marcial Gómez Jiménez, Paraguay

Publié le 28.03.2006| Mis à jour le 08.12.2021

La propriété de la terre est concentrée entre quelques mains. La tendance s’aggrave encore avec l’expansion de la culture du soja

La terre confisquée

Paris, 17 mars 2006

Chez nous, 90 % des terres sont possédées par une très petite minorité de familles, 400 à peine, 1 % des propriétaires. Le Paraguay n’a jamais connu de réforme agraire, ni même de tentative. À la fin de la dictature, en 1989, le gouvernement détenait 12 millions d’hectares, dont 11 millions sont restés entre les mains des amis du dictateur Stroessner.

Une injustice considérable, qui trouve même à s’aggraver désormais avec l’entrée de d’entreprises agricoles étrangères pour se lancer dans la monoculture du soja.
Une poussée, depuis cinq ans à peine, sous l’influence de cours internationaux multipliés par huit en moins d’une décennie : avant, le soja n’occupait que deux régions, frontalières avec le Brésil. Depuis trois ans, le soja gagne 300 000 hectares par an, dans pratiquement tous les départements de la région orientale, propice à l’agriculture. Au total, 2 millions d’hectares sont dédiés à la légumineuse — des variétés transgéniques à 90 %, comme en Argentine.

Expulsions de petits payans

Cette conquête s’accompagne régulièrement d’expulsion de petits paysans. Par l’aspersion de pesticides sur les champs de soja, voire intentionnellement « sur les bords », par les tracteurs ou par les avions. Il suffit d’un peu de vent pour que l’on en retrouve jusqu’à 30 km de la source. Résultat : la destruction de toutes les cultures vivrières alentours. Les responsables n’ont alors pas de mal à convaincre les petits agriculteurs à leur vendre leurs terres pour rien.

À défaut, ce sont des expulsions violentes. Le prétexte : 80 % des petits exploitants n’ont pas de titres de propriété en bonne et due forme. En effet, le gouvernement n’a jamais régularisé leur situation. Et comme il n’existe pas de cadastre national, les grands propriétaires qui convoitent leurs terres négocient frauduleusement l’établissement de titres à leur profit, puis sollicitent l’expulsion des communautés qui y vivent, « occupants illégaux ».

Nous avons peu de données chiffrées pour mesurer l’exode rural que le phénomène alimente. Mais alors que 70 % de la population était rurale, lors du recensement de 1991, la proportion est tombée à 50 % en 2002. Dans certaines zones, notamment dans le département de Caaguazá et vers la frontière commune avec l’Argentine et le Brésil, c’est extrêmement saisissant : suite à des expulsions massives, il n’y pratiquement plus d’habitants.

En 2003, le congrès de la FCN, auquel sont liées 30 000 familles, a décidé de résister à l’avancée de la monoculture du soja. Sans violence, par l’occupation des terres ou la constitution de barrage sur les routes.
Nous avons connu de nombreux affrontements, en particulier dans le Caaguazá, avec les militaires, la police, les milices privées, et plusieurs morts et blessés. Pourtant, nos actions de masse ont connu quelques succès : notre tactique consiste à provoquer des blocages à l’époque des semailles, relativement brève. Une fois passée, c’est la récolte d’une année qui est perdue.

Autre avancée importante : depuis 2003, nous voyons un débat s’instaurer peu à peu instauré dans le pays à propos de ce modèle agricole. La prise de conscience progresse, faisant pièce à une propagande uniforme menées par les entreprises et relayée par les médias — louange du progrès technologique, rentrées de devises…

Sojatisation du pays

Il faut dire que l’on commence à constater les dégâts écologiques, comme la pollution de l’eau bue par les petits paysans, mais aussi la croissance des quartiers urbains périphériques pauvres, alimentés par l’exode rural : le lien avec la monoculture du soja est incontestable.

Mais la « sojatisation » du pays, comme la nomme chez nous, fait aussi péricliter la production vivrière du pays. Nous devons importer des tomates, du lait, et même la « hierva mate ». Dans le département de Itapuá, on n’en trouve plus, et le déficit annuel atteint 40 000 kilos par an, alors que le pays exportait : c’est l’honneur national qui est atteint !

Il n’existe pas encore de relais politique à cette protestation montante, mais nous espérons bien qu’un mouvement va naître. Pas pour les élections de 2008, c’est trop juste. Mais nous comptons profiter de l’ouverture du débat sur la modification de la Constitution, que souhaite le président afin de permettre sa réélection, pour occuper la tribune…

Propos recueillis par Patrick Piro

Marcial Gómez Jiménez, agriculteur, est secrétaire général adjoint de la Fédération nationale paysanne (FNC)

Lire la présentation de la FNC

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