Tchad, une population en souffrance

Publié le 15.06.2011| Mis à jour le 08.12.2021
Paris, le 15 juin 2011 Bien qu’il ait été réélu avec 83,6 % des suffrages lors de l’élection présidentielle du 25 avril 2011, le pouvoir d’Idriss Déby est fragilisé, selon Delphine Djiraibe. Par la perte d’influence de son principal soutien régional, le chef d’Etat libyen Mouammar Khadafi, assis sur un trône chancelant. Et par la préoccupante dégradation des conditions de vie de la population tchadienne. Vingt et un an plus tard, Idriss Déby est toujours au pouvoir ! « Oui, commente, Delphine Djiraibe, et c’est toujours un président mal élu. Le scrutin a été entaché d’irrégularités, relevées par les observateurs de l’Union européenne. Et le taux de participation a avoisiné les 20 %, bien loin des 58 % mis en avant par la Commission électorale nationale dite indépendante (CENI), qui s’est discréditée. » « Le seul point positif des derniers scrutins – des élections législatives en février dernier ont précédé les présidentielles – est qu’ils se sont déroulés dans un climat politique relativement apaisé, sans violences. » A quoi tient ce silence des armes dans un pays aux rébellions récurrentes ? « Depuis la rencontre entre le président soudanais El Béchir et Idriss Déby, la normalisation des relations entre les deux pays progresse. Une force mixte dédiée à la sécurisation de la zone frontalière commune a été mise en place. Cela dit, tous les problèmes sont loin d’être réglés. » L’écho des révolutions arabes serait-il parvenu jusqu’à N’Djamena ? « Oui, répond l’avocate des droits de l’homme. Des tracts ont même circulé dans les rues de la capitale, intitulés « Déby dégage ! ». » « Mais, poursuit-elle, l’attention se focalise aujourd’hui sur la situation à Tripoli. Khadafi a de tout temps soutenu Déby. En lui fournissant un appui politique, économique et militaire. S’il quitte la scène, le pouvoir tchadien sera très affaibli. On perçoit d’ailleurs une grande nervosité dans les milieux proches du président. » Pendant ce temps, Delphine Djiraibe, persévérante, poursuit son inlassable travail de plaidoyer à la tête du CSAPR. Autour de deux axes : faire en sorte que les prochaines élections – en 2016 – soit enfin crédibles et transparentes ; et, suite au dépôt des armes d’anciens belligérants, donner une réalité tangible aux programmes Désarmement, Démobilisation, Réinsertion (DDR). « Nous pensons organiser un colloque sur ce thème à N’Djamena à l’automne 2011, avec la participation d’experts internationaux. » Une population en souffrance La voix de Delphine Djiraibe est envahie par l’émotion et la colère, lorsqu’elle évoque la vie quotidienne de ses concitoyens. « Savez-vous que bien des familles ne mangent plus à leur faim à N’Djamena ? Je connais de nombreux ménages des classes moyennes qui ne font plus que deux repas par jour au lieu de trois. Alors, imaginez chez les pauvres… » Elle marque une pause et reprend son réquisitoire : « L’accès a l’eau potable n’est pas assuré, si bien que les cas de typhoïde, de choléra ou de méningite se multiplient. La santé publique devient un problème majeur au Tchad ! » Mais à quoi sert donc la manne pétrolière qui emplit les caisses du régime ? « Outre les achats d’armes, réplique-t-elle, Déby s’est contenté d’investir dans les infrastructures routières, la construction de quelques écoles dépourvues de professeurs ou la modernisation de la capitale. » «  Tout se passe, résume-t-elle, comme si le président était plus soucieux de son image que de la situation de son peuple. C’est inacceptable ! » Et comment réagissent ses interlocuteurs officiels français ou européens à un tel témoignage ? « Ils nous reçoivent et nous écoutent, assure-t-elle. Mais sans qu’ils le disent ouvertement, je les sens partisans du statu quo. Est-ce à dire qu’ils attendent une révolte populaire – comme en Tunisie ou en Egypte – pour enfin prendre leurs distances avec Déby ? » «  Il serait plus réaliste, avertit Delphine Diraibe, d’inciter d’ores et déjà à la mise en place de réformes profondes et de préparer la transition, qui favoriserait une alternance à tous les niveaux. Avant qu’il ne soit trop tard. » Propos recueillis par Yves Hardy Tchad : un climat politique apaisé, mais une situation sécuritaire toujours préoccupante… (pdf – juin 2011)

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