Entreprises : les ONG font le travail que ne fait pas le gouvernement

Publié le 21.09.2020| Mis à jour le 08.12.2021

Pour pallier l’absence de suivi par les pouvoirs publics de l’application de la loi sur le devoir de vigilance, le CCFD-Terre Solidaire et Sherpa ont mis en place un « outil citoyen » : un « Radar » qui traque les entreprises s’exonérant de leurs obligations.


Plus de trois ans après le vote de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, 27 % des 265 entreprises recensées par le CCFD-Terre Solidaire et Sherpa n’ont toujours pas publié de plan de vigilance. Selon leur rapport diffusé fin juin, parmi ces 72 réfractaires, nombre ont pignon sur rue. À l’image d’Yves Rocher, de Castorama, de Boulanger, de McDonald’s France, de Leroy Merlin, de KPMG, de Picard, des Trois Mousquetaires ou encore de France Télévisions.

Ces résultats sont issus du travail de titan effectué par les ONG grâce à la mise en place d’un « outil citoyen » de suivi de la loi. « Faute d’une liste officielle établie par le ministère de l’Économie, nous avons cherché à identifier dans les bases de données publiques et privées, les entreprises répondant aux critères énoncés par la loi », explique Swann Bommier, chargé de plaidoyer pour la régulation des multinationales au CCFD-Terre Solidaire.

Ce sont toutes les entreprises de plus 5 000 salariés dans l’Hexagone ou 10 000 en France et à l’étranger [[Ces entreprises doivent être enregistrées sous forme de société anonyme, de société européenne, de société en commandite par actions ou de société par actions simplifiées.]]. « Aux termes de cette première étape, nous avons cherché à savoir si ces entreprises avaient bien publié leur plan, en sachant qu’elles ne communiquent pas toujours sur le sujet et qu’il n’existe aucun endroit où toutes les informations sont regroupées. »

Un véritable jeu de piste

Cette méthode n’est certes pas exhaustive, car les données ne sont pas toujours disponibles. Difficile de traquer toutes les filiales d’un même groupe, ou de comprendre les liens qui unissent chacune d’entre elles à la société mère, ou encore de déceler leur statut juridique en raison de l’opacité entourant ces questions. Un certain nombre d’entreprises passent ainsi chaque année sous le radar.

Autre problème : la notion de seuil qui comporte un risque de contournement de la loi, certaines entreprises pourraient utiliser un artifice pour ne pas atteindre le nombre de salariés requis. « Il y a un an, en faisant le même travail, nous avions publié une première liste de 237 entreprises. Nous sommes ensuite allés voir des responsables de Bercy pour leur demander de reprendre le flambeau et de publier une liste complète de ces entreprises, car nous ne pouvions prétendre à l’exhaustivité de nos résultats », se souvient Swann Bommier.

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a alors diligenté une mission pour étudier la question. Mais le rapport rendu en mars dernier par le Conseil général de l’économie a douché les espoirs. Il a conclu à l’incapacité des pouvoirs publics de s’assurer de la mise en oeuvre de la loi et a renvoyé la balle dans le camp des ONG. Ce serait à elles et non à l’administration de faire le suivi ! « Le rapport se réfugie derrière la confidentialité de données fiscales pour ne pas nous communiquer cette liste », lance Swann Bommier.

Mais le gouvernement ne fait pas toujours preuve de la même retenue : l’ancienne ministre du Travail, Muriel Pénicaud, avait publié le nom des entreprises dont les efforts avaient été jugés insuffisants en matière d’égalité femme/homme. Bruno Le Maire, lui-même, avait menacé de divulguer le nom des banques ne respectant pas le plafonnement des frais d’incidents bancaires pour les publics dits « fragiles ». « Il y a surtout une volonté de ne pas mettre en oeuvre la loi », lâche Swann Bommier.

Le rejet des amendements déposés à l’Assemblée nationale, le 9 juillet, par les groupes socialiste et insoumis apporte de l’eau au moulin du chargé de plaidoyer. « Dans le cadre du vote de la 3e loi de finances rectificative, nous avions demandé de conditionner les aides aux secteurs en difficulté, comme l’automobile ou l’aviation, au respect de la loi sur le devoir de vigilance », explique le député Dominique Potier, rapporteur de la loi. « Comment en effet comprendre que des entreprises qui ne respectent pas les règles puissent profiter de fonds publics ? C’est scandaleux. »

Les débats ont été animés. Et les arguments jugeant le moment inopportun pour mettre ce sujet sur la table, soulignent le peu d’empressement de la majorité parlementaire à s’en saisir. Pas de quoi refroidir le député, prêt à recommencer l’opération à la rentrée lors de la discussion et du vote du plan de relance. « Il faut continuer à faire pression sur les entreprises et sur le ministère de l’Économie. »

Le CCFD-Terre Solidaire et Sherpa, force de proposition

Les deux ONG sont, elles aussi, bien décidées à maintenir la pression. « Plusieurs actions sont possibles : la mise en demeure des entreprises qui ne respectent pas la loi, ou la saisie du tribunal administratif pour exiger du gouvernement qu’il nous permette d’accéder aux données administratives ou pour le forcer à dresser lui-même la liste des entreprises concernées », énumère Swann Bommier, qui penche plutôt pour la seconde solution.

Dans leur dernier rapport, le CCFD-Terre Solidaire et Sherpa se veulent force de proposition pour améliorer l’application de la loi. Pour éviter les contournements, les deux ONG demandent que toutes les sociétés commerciales, quelle que soit leur forme juridique, soient concernées par l’obligation de publier un plan de vigilance. Elles réclament aussi un abaissement des seuils d’application de la loi pour s’aligner sur les seuils prévus par la directive européenne sur la publication d’informations non financières ou d’informations relatives à la diversité.

La mise en place d’un reporting pays par pays effectué au niveau européen pourrait également apporter une plus grande transparence. Les grandes entreprises auraient ainsi l’obligation de publier un certain nombre d’informations d’intérêt général sur leurs activités, l’action de leurs filiales et le nombre de leurs salariés.

Pour sortir de cette situation ubuesque, une lueur d’espoir pourrait venir prochainement de Bruxelles : la nouvelle Commission européenne vient d’annoncer sa volonté de mettre en place une réglementation sur le devoir de vigilance, qui s’appliquerait de manière identique dans tous les pays membres.

Par Laurence Estival

– Lire le rapport : Les entreprises soumises au devoir de vigilance dans le radar des ONG

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